|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Little Children
USA / 2006
24.01.2007
|
|
|
|
|
|
DESPERATE HOUSEWIFE
"- Vous avez une jolie maison.
- Vraiment ? Richard gagne bien sa vie.
- Qu'est-ce qu'il fait ?
- Il ment."
Après le très remarqué et sensible In the bedroom, Todd Field reprend la manivelle et signe un deuxième film mélancolique, à l'ambiance légèrement moins pesante, mais plus pathologique. Il s'ancre dans la banlieue bourgeoise américaine et en identifie les travers, thème largement écumé ces derniers temps. Ce qu'il aime explorer ce sont ces frontières entre l'autorisé et le transgressif, le caché et le visible, l'intime et le public. C'est déverrouiller chacun des tabous qui nous emprisonnent.
Il aurait pu se contenter de balayer les clichés sur le mal-être de ses personnages, cependant il parvient à les rendre touchants. Les deux héros, Sarah et Brad, ne peuvent se résoudre à laisser passer leur jeunesse qui bientôt s'envolera. Le temps qui passe se veut dévastateur, surtout lorsque l'on mène une existence morne et sans saveur. Le premier plan du film résume assez bien cette idée, montrant une succession de pendules, dont les tic-tacs résonnent froidement. La fameuse "pendule du salon qui dit oui, qui dit non, qui dit je vous attends" retentit en nous comme un avertissement lourd d'une incroyable pression : dépêchez-vous d'être heureux car vous n'avez que peu de temps à vivre sur Terre. Cette quête insatiable du bonheur devient vite insupportable pour nos deux héros qui possèdent, à priori, tout pour être heureux. Sarah, mariée et mère d'une fillette de 3 ans, est malheureuse en ménage ; son mari inexistant la délaisse pour des plaisirs solitaires. Elle s'enlise dans une vie étriquée et misérable, en véritable Emma Bovary des temps modernes. Brad, quant à lui, sans emploi, élève son fils Aaron et supporte difficilement une épouse working girl et castratrice. Ces personnages peuvent paraître lisses en surface, seulement ils font preuve d'une complexité évidente au-delà des apparences. Leur rencontre est nécessaire pour apporter une bouffée d'oxygène dans leur vie mais, loin de poser les jalons d'un bonheur gracile, le réalisateur insiste sur leur douleur profonde. Leur félicité ne sera que de courte durée et le spectateur n'est pas dupe.
Fantasmes et illusions
Prisonniers d'un monde glacé, codifié par l'apparat et les règles de bonne conduire, Sarah et Brad, tous deux épris de liberté, tentent de s'en échapper afin de ne pas se laisser aspirer par un style de vie qui ne leur correspond pas. Malgré tout, une certaine ambivalence subsiste chez eux : tout en cherchant à fuir au moyen de leur relation adultérine, ils cherchent à s'intégrer. L'angoisse de la solitude probablement. Brad observe chaque soir un groupe de skaters qui ne le remarque jamais et se sent transparent. Il rejoint même une équipe de football américain, pour être considéré comme un individu à part entière et se sentir vivant. Dans cette société impersonnelle qui classe les gens par numéros, il cherche désespérément à être pris en considération. Sarah se rend au square avec des mères de famille bon chic bon genre, toutes plus névrosées et inquiétantes les unes que les autres. L'une d'entre elle planifie tout, jusqu'à ses rapports sexuels avec son mari, pensant détenir la clé du bonheur. Elles personnifient parfaitement l'hypocrisie des habitants du quartier, menée à son paroxysme lors de l'arrivée dans le voisinage d'un homme condamné pour exhibitionnisme.
Au-delà des préjugés
Todd Field filme ses personnages avec une douceur qui tranche avec la noirceur du propos, évitant les écueils du manichéisme - notamment dans sa représentation du présumé pédophile, aux déviances sexuelles évidentes. Réflexion sur le couple et sur le bonheur, Little children est porté par le jeu épuré du duo idéal, Kate Winslet (que l'on n'avait pas vue si magnifique depuis longtemps) et Patrick Wilson. En dépit d'un épilogue bâclé un brin moralisateur et sordide, de quelques histoires parallèles parasitant parfois le fil conducteur, le cinéaste parvient à nous emporter dans son univers singulier pendant plus deux heures, évoquant chez ses personnages une volonté de rédemption et d'épanouissement personnel.
Quitte parfois à user de quelques détours attendus ou trop cinématographiques. Cela ne retire rien à ce parfum envoûtant de fleur fânée, étrangement amer et désillusionné.
Florine
|
|
|