Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Azul (Azuloscurocasinegro)


Espagne / 2006

28.02.2007
 



TUER SON PAPA DE CINEMA





Acide et acidulé
Jorge, un tout jeune homme, est concierge malgré un master de gestion en poche. Il s'occupe de son père paralysé alors qu'Antonio, son frère aîné, est incarcéré. Celui-ci fait la rencontre de Paula, une prisonnière en mal de maternité. À cause d'un détail anatomique fâcheux qui l'empêche d'être père - une varice à un testicule ! – Antonio demande à Jorge de lui faire un enfant par procuration...

Ce premier long-métrage de Daniel Sanchez Arevalo propose autour du (anti-) héros, le jeune Jorge (Quim Guttierez, le Louis Garrel espagnol), une galerie de portraits particulièrement séduisante qui sculpte le chemin initiatique d'une Cendrillon au masculin en mal d'ascension sociale. Ces différents caractères alimentent à foison un scénario composé de destins parallèles qui se cherchent et tentent d’anéantir les cloisons sentimentales, sociales et carcérales qui les isolent. Alors pourquoi ne sommes-nous pas totalement séduits par la fraîcheur de ces personnages qui contraste avec la douce gravité du propos d'Azul oscuro casi negro ?
Parce que cette œuvre qui jouit pourtant d’une distribution brillante et d’une direction d’acteur très sensible ne sait pas vraiment sur quel pied (de caméra) filmer. Il oscille maladroitement entre l'acide et l'acidulé, la comédie et le mélodrame.
Pétri de belles intentions et de générosité sincère, le scénario offre trop de personnages. Intrigué dans un premier temps, le spectateur se demande qui suivre. Mais peu à peu, il se perd dans le dédale trop ramifié du récit. Prend ses distances et s’éloigne du chemin initiatique de Jorge.

Débordant, ça coule
Ce trop-plein d’éléments – parfois, c’est une qualité pour une première œuvre – ampute particulièrement les personnages féminins qui souffrent de ce développement multiple :
- Natalia (Eva Pallares) aime Jorge et habite dans l’immeuble du jeune concierge. Cette romance, traitée à la périphérie du récit, passionne peu. Et lorsque la jeune femme vend son appartement en réponse à la tiédeur des sentiments du héros, nous sommes comme lui : ennuyé et quasi-indifférent.
- Paula (Marta Etura) la jeune femme incarcérée est malheureusement victime de son enfermement - au sens propre comme au figuré - dans le film. Son personnage est tristement bavard car il est condamné au verbe pour exister. Si le frère aîné (Antonio del Torre, le mari de Raimunda dans Volver) et Israel (Arturo Arevalo) qui se prend pour Sean Penn sont servis par des dialogues fantaisistes qui s’accordent à leur volubilité, les autres protagonistes sont ligotés par l’abondance de leurs mots. Elle les empêche de vivre par leurs corps et leurs regards, et surtout désamorce les rebondissements en les soulignant, les expliquant même par avance.

Caméra fébrile, chair tremblante
Une succession de plans illustre de façon sensible cette maladresse provoquée par un manque de confiance de Daniel Sanchez Alveralo, aussi scénariste d’Azul :
- Au fil du film, Jorge regarde un costume dans la vitrine d’un grand magasin. Il rêve de le revêtir car il symbolise son rêve d’expansion sociale. À la fin du récit, le jeune concierge dont l’existence piétine n’y tient plus. Il projette une grande poubelle collective contre la glace qui se brise en mille morceaux.
- Retour réalité. Jorge considère la vitrine, puis lance de toutes ses forces sa poubelle. Celle-ci rebondit contre le verre qui est blindé.
- Par un hasard un brin câblé, Israel arrive dans un 4X4. Le concierge monte à bord. Alors qu’Israel évoque pour la énième fois sa probable homosexualité, Jorge soudain le coupe. Prend le volant et demande - au cas où nous ne comprendrions pas son intention - si le véhicule est muni d’air bag.
- Le 4X4 fonce dans la vitrine qui vole en éclats.
- Ellipse. Jorge dans sa chambre arbore le costume. Il se regarde dans la glace. Et pour bien signifier qu’il s’agit du complet du magasin – nous avons quand même un tout petit peu de mémoire… - le jeune homme envoie valser d’une chiquenaude une particule de verre accrochée au tissu.

François, Pedro, Lars et les autres
Dans Azul, Jorge s’occupe de son père infirme (Hector Colome) qui plombe son quotidien et l’empêche de s’envoler vers des cieux sociaux plus prospères. Sur un plan artistique - et inconscient ... ? - Daniel Sanchez Arevalo subit le même phénomène « paternalo-vampirisant ».
Les deux premiers tiers de son œuvre sont truffés de références troublantes à Pedro Almodovar : l’ouverture du film en long plan séquence et en plongée rappelle celle d’En chair et en os, les scènes de parloir en prison et les gros plans stylisés face-profil ceux de Parle avec elle, la femme qui chante dans la soirée fait penser entre autres à Victoria Abril dans Attache-moi et à Penelope Cruz dans Volver. Quant à la musique de Pascal Gaigne, elle est quasiment plaquée sur les accords d’Alfredo Iglesias.
Malheureusement, toutes ces références encombrent l’identité de la mise en scène et détournent le film de son objectif car Azul se veut plus un conte moral qu’un mélodrame flamboyant « almodovaresque ». Ce film - version banlieusarde et masculine des Fées de Charles Perrault - aurait trouvé son souffle s’il s’était tourné vers le néo-réalisme espagnol et s’était inspiré plutôt du très beau drame Les lundis au soleil de Fernando Leon de Aranoa avec Javier Bardem.
Si Daniel Sanchez Arevalo parvient à trouver son propre rythme dans le dernier tiers du film, cette palpitation plus nerveuse des images qu’il maîtrise avec bonheur naît un peu tard. Trop tard pour s’intéresser intégralement à tous les personnages dont le destin s’accélère alors.

À la décharge de ce réalisateur né à Madrid en 1970, Azul montre combien il est difficile pour un jeune cinéaste espagnol - un enfant face à la caméra - de s’affranchir d’une liberté de ton, d’une façon personnelle de filmer après l’avènement de Pedro Almodovar – manifestement son père et pair de cinéma - qui est la REFERENCE la plus puissante, mais aussi la plus écrasante, du septième art ibérique avec celle de Luis Bunuel.
En France, combien de copies tendro-nostalgico-truffaldiennes ont vu le jour jusqu’au cœur des années quatre-vingt-dix ? Ces œuvres, en s’inspirant de la forme légère du Géant François, ont souvent oublié l’essence du cinéma de Truffaut : la souffrance pathologique des héros de Jules et Jim jusqu’à ceux de La femme d’à côté où tous contractent l’amour comme une maladie qui s’empare de leur âme et parfois même de leur vie.
Combien de films à l’esprit « Dogme » ont fleuri depuis Lars von Trier, maître du numérique qui offre à ses images un tremblement et un grain si singulièrement opaques qu’il semble avoir épinglé sur l’objectif de sa caméra des ailes de libellules en guise de filtre. Tous les films qui découlent de ce procédé ont-ils le même frémissement que ceux du cinéaste danois ? Ne cèdent-ils pas à la forme numérique - et c’est tout à fait louable - par souci économique plutôt que par choix artistiquement réfléchi ?
Les fils cinématographiques empruntent souvent l’habillage des images, les costumes de leurs papas de cinéma. Gageons que certaines de ces chrysalides deviendront de grands papillons qui accrocheront à leurs ailes leurs propres couleurs. Ainsi, pourront-ils rejoindre leurs maîtres dans un ciel étoilé sur fond d’Azul Oscuro Casi Negro : bleu nuit presque noir.
Biologiques ou cinématographiques, même combat. Nous sommes tous des fils aveugles qui tentons d’approcher et d’accrocher la lumière : celle évidemment d’un grand écran en technicolor...
 
Benoît

 
 
 
 

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