Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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La fille coupée en deux


France / 2007

08.08.2007
 



LES ILLUSIONS PERDUES





Baignée d’une couleur rouge sang, la scène d’ouverture du dernier film de Chabrol cultive le trompe l’œil. En délimitant la tonalité d’un métrage aux allures de roman noir dans un effet d’opposition des genres, le réalisateur prend un malin plaisir à esquiver les codes du polar, du drame psychologique et du simple fait divers sordide qui semble pourtant se mettre en place.

Au lieu de cela, Chabrol nous livre une œuvre acide, un brin désabusée, libre et bavarde, qui explore une nature humaine complexe emprisonnée dans ses propres reflets. Cette gestion des corps en proie aux désirs coupables, entre jalousie et jouissance égoïste, reste survolée, pour ne pas dire facile, mais suscite convoitise du regard et rend le métrage étrangement agréable. Le spectateur ne peut résister à cette énième peinture sociale du maître, sorte de spectacle cynique où l’amour de roman s’entrecroise avec les luttes de pouvoir, mêmes esquissées.

En adaptant très librement un fait divers remontant au début du siècle dernier, Chabrol délaisse l’intrigue d’un basculement vers le meurtre, pour s’intéresser à l’étude des rapports humains. Ici, ce n’est donc pas la trame qui « dirige » l’action et les réactions des protagonistes, mais bien la psychologie des personnages, les uns vis-à-vis des autres, par confrontation, opportunisme, plaisir personnel et dans un constant rapport de force. La caméra de Chabrol n’est plus guidée par la simple description d’un milieu donné dans ses excès ou ses caricatures, mais par l’interaction que suscitent les gens dans un jeu où la séduction, le désir, la sexualité et le pouvoir prennent immanquablement le dessus. Si Chabrol verse encore une larme de lutte de classes (faux puissants de la télévision et de l’édition ; ancien puissant d’une bourgeoisie à l’agonie), celle-ci est relayée en arrière plan. Elle suscite encore quelques rires ou grincements, mais n’est plus aussi féroce qu’auparavant. Les temps changent, les rapports aussi.

Pour réussir cette analyse d’entomologiste sur les natures de l’homme, le réalisateur défini une galerie de personnages qu’il codifie à l’extrême, chacun ayant droit à une posture scénaristique clairement identifiée et identifiable. Rien n’est laissé au hasard et Chabrol semble se moquer du passage à l’acte ; ce qui l’intéresse ce sont les relations dans un monde hyper réaliste ou le romantisme est définitivement mort. Cette affirmation est alors magnifiée par une Mathilda May sophistiquée et sensuelle qui cultive l’art de la subversion et de l’érotisme. Naviguant dans un monde qu’elle aura sans doute elle-même construit en partie, elle représente un pont entre les deux univers (celui de Deneige et de Saint-Denis).

Pour cela, Chabrol ajoute un élément : la belle et fringante Gabrielle Deneige. Ce personnage naïf, innocent et absolu dans son amour, sème le trouble pour déceler la vraie nature des «autres » : Charles Saint-Denis est un jouisseur bien incapable d’aimer Gabrielle pour ce qu’elle est vraiment ; le nouveau bourgeois Paul Gaudens est un schizophrène refoulé, qui aime d’amour la belle Deneige, mais cache un terrible secret ; la jeune Deneige elle-même, amoureuse de Saint-Denis, ne calcule pas et prend la vie avec une crédulité innocente. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui séduit tant Saint-Denis, suscite l’incompréhension, la jalousie et finalement le passage à l’acte. Ce qui sort des codes et des convenances, grippe la mécanique sociale et crée la discorde. Pour s’en sortir il faut soit se réfugier dans le mensonge (Saint-denis), dans la folie meurtrière (Gaudens), la duplicité (la mère de Paul) ou les faux-semblants de circonstance (la pauvre Gabrielle).

Chabrol porte un regard ironique sur un monde devenu bien triste. Ce jeu de faux-semblants dénué d’enjeux dramatiques reste très (trop ?) linéaire dans sa construction, mais arrive à développer une mise en scène faite de faux fuyants et d’esquives en tous genres. Voir tous ces personnages (ceux qui sont célèbres ou qui se croient importants) se débattre tant bien que mal dans une société qui se met en scène continuellement ravive la question suggérée par Saint-Denis. Happée par le gouffre de l’oubli, la société tangue et hésite entre puritanisme et décadence. Tout ne serait qu’un jeu de dupe dont les principales victimes sont Gabrielle et Paul, figures exemplaires de l’innocence et de l’intégrité.
 
geoffroy

 
 
 
 

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