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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Waitress
USA / 2007
05.09.2007
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AMERICAN PIE
"- Quand je bois, je vais jusqu'à coucher avec mon mari."
L'Américaine moyenne est désespérée, donc névrosée. En mal d'émancipation du mâle, frustrée, indécise, le nichon gauche plus haut que l'autre et le teint blafard des employées de service, ici des serveuses, la "bonne femme" (trop bonne trop conne) est une espèce intéressante à observer pour quiconque veut comprendre les contradictions de l'occidentale moderne. Et si les femmes sont subtilement et joliment décrites à travers leurs angoisses et leurs choix cornéliens, les hommes n'ont pas d'autres choix que de subir leurs instincts, le plus souvent sexuels. Profondément égoïste, le mari exclusif a quand même cette réflexion immorale quand elle lui annonce sa grossesse : "je te dirai bien de le virer mais faut que tu montes avec moi au ciel.>" Il faut être carte vermeille et au bord du cercueil pour que l'être masculin devienne amusant, touchant, attentionné vis-à-vis des femmes. Waitress, raconté ainsi, passerait alors pour un pamphlet à charge contre les "phallus-sur-pattes". Mais Adrienne Shelly a réussit, tout en s'en moquant, à être indulgente avec le mari et l'amant, leur trouvant des circonstances atténuantes. La possessivité et l'infidélité ne sont-elles pas liés à l'irrésistible attraction qu'exerce l'héroïne?
Cette dernière, objet de désir, ne sait du coup plus qui elle est, ce qu'elle doit faire, et n'a d'autres choix immédiats et concrets que de souffrir de son présent et de rêvasser entre temps. La tarte est alors son royaume, l'espace d'une recette pour s'évader. Elle symbolise son subconscient : chaque tarte a son nom, métaphore de l'état d'esprit et des émotions du moment. Mieux que cela, tout le monde se damnerait pour l'une de ses quiches. La tarte en main, elle domine ceux qui, habituellement, la font servante et asservie. Belle idée cinématographique et esthétique. La gastronomie inspire beaucoup le cinéma depuis quelques années.
Mais Shelly, surtout, insuffle une tonalité douce amère, sucrée salée, sourire et larmes qui rend la comédie dramatique plutôt légère et le cynisme plus proche de l'ironie caustique voire un peu acide. Cette gravité ambiante, entre l'emprise de son con de macho et le calvaire de sa grossesse, est déjouée par un regard décalé et quelques réactions grotesques. Embrasser son gynécologue (marié) c'est "anti déontologique" mais ça ne les empêchent pas de se rouler une pelle. Terriblement féminin, jusque dans cette morale de conte de fée moderne où les femmes s'assument entre elles et font des bébés toutes seules, Waitress est une serveuse de bonnes petites scènes. Généreuse et avenante, son charme opère du début à la fin. Rien de niais (elle a quand même d'horribles pensées comme vendre son bébé) ou de naïf (les gamins qu'elle croise sont tous insupportables). Jamais que l'initiation d'une jeune fille mariée trop tôt au mauvais gars. Espoirs d'une vie meilleure brisée, refus de se confronter la réalité d'un monde adulte : la réalisatrice nous dépeint les Américaines comme de grandes adolescentes immatures. D'où la névrose et le désespoir. Mais nous sommes dans le pays de la seconde chance et des miracles... De la soumission à la rébellion, de l'affranchissement à la moralisation, Waitress démontre la force aliénante des principes et des carcans et fait l'éloge du respect et de la liberté individuelle, à commencer par la confiance en soit la capacité d'affronter seul son destin.
Avec un clin d'oeil final à Chaplin, Adrienne Shelly rend hommage à un cinéma humaniste et romantique, à des lendemains meilleurs... Elle ne se doutait pas que ce serait sa dernière recette, chaude, tendre et crèmeuse....
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