|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Le dernier voyage du juge Feng (Mabei shang de fating)
Chine / 2006
03.10.2007
|
|
|
|
|
|
JUSTICE AMBULANTE
"Ici, il y a eu mort d'homme à cause d'un poulet !"
Le tableau est cocasse : l'emblème national juché sur un cheval et accompagné de trois juges boueux, contraints de marcher sur des kilomètres de sentiers escarpés pour porter la justice dans les coins les plus reculés de la Chine. Pourtant, le sujet est loin d'être anecdotique, puisque mille tribunaux sillonnent ainsi le pays. C'est même son exemplarité qui a intéressé le réalisateur. Au travers de sa troupe de magistrats maladroits et faméliques, il montre comment la méconnaissance des réalités du terrain (notamment des coutumes des différentes minorités qui peuplent les zones les plus rurales de la Chine) risque de transformer les bienfaits du processus judiciaire en évangélisation forcée pour le compte du régime. Lors des réquisitoires et jugements, la Loi exige en effet qu'il ne soit fait mention ni de religion, ni de tradition, interdisant par exemple d'instruire la plainte d'un homme dont l'urne funéraire familiale a été détruite.
Ce sont comme deux mondes qui s'entrechoquent et cohabitent sans parvenir à communiquer : la Chine ancienne, rurale et fantasque, personnalisée par le vieux juge et sa greffière, et la Chine actuelle incarnée par le jeune juge idéologue et théoricien. Ce dernier s'avère ainsi incapable de comprendre les réalités complexes des gens qu'il doit juger. Pire, il ne s'intéresse ni à leurs coutumes, ni à leurs existences, et leur nie toute consistance. Le rouleau compresseur de la modernité aplanit tout sans faire de distinction. Quitte à provoquer une vendetta ou la sécession d'une région.
La vision de Liu Jie n'est toutefois pas dépourvue d'humour, fruit de la distance qu'il prend avec son sujet. Les pauvres magistrats sont ainsi confrontés à de nombreuses avanies (vol de l'emblème national, capture d'un cochon, règlement de querelles familiales qui se retournent contre eux…) et doivent bien malgré eux s'en remettre à la "justice" propre et aux coutumes du lieu où ils sont. C'est par exemple la chef de village qui leur dicte la marche à suivre lorsque leur cheval est volé, et il ne s'agit évidemment pas de porter plainte après de la police. L'avenir serait-il dans le syncrétisme ? Au cours d'une scène presque surréaliste, on voit tout un village adorer l'emblème national, symbole du régime, comme une relique magique…
Ce savant dosage de critique explicite du régime (notamment dans la bouche du vieux juge Feng) et de légèreté apparente a permis au film de passer la célèbre censure chinoise mais également de s'exporter avec succès. Il faut dire que ce ton bien particulier adoucit adroitement une forme un peu radicale (larges plans fixes, scènes parfois étirées), attirant l'intrigue vers le divertissement caustique, bien loin du misérabilisme ultra-réaliste de certains de ses contemporains plus citadins. MpM
|
|
|