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VARIABLE AJUSTABLE
"Je ne suis pas le gars à tuer. je suis le gars qu'on achète."
Une voiture s’immobilise sur le bord d’une route sinueuse le long d’un versant verdoyant où s’ébattent quelques chevaux. Baigné dans la lumière d’une aube tremblotante, l’homme descend et se dirige vers les chevaux. Il les fixe, les effleure…et échappe à la mort, comme dans un rêve. L’illusion ne dure pas et le temps du monde réel se reflète par delà nos propres peurs. Les fantasmes d’un changement se transforment par les évènements de la vie, permettant à l’intime conviction de prendre le dessus. Vecteur de la révolte contre l’injustice, il autorise la remise en cause et le passage à l’acte. Michael Clayton devient cet homme qui, ébranlé par une affaire de trop, refuse de sombrer et accepte les dangers du courage.
Une voix masculine. Haletante et syncopée, elle débite dans un flot s’accélérant des mots qui démontrent, dénoncent, accusent, fustigent et accablent. Dans la folie d’une clairvoyance, l’avocat se rend compte qu’il a donné toutes ces années de travail pour un mensonge ; la blessure est insupportable et la posture sacrificielle s’effondre comme un château de cartes. La détresse, comme la culpabilité, alimentent désormais la psychologie d’un homme prêt au combat. La parole se libère afin que les remords ne deviennent pas les conseillers de l’oubli.
Elle s’apprête dans la froideur d’une chambre d’hôtel. Elle a peur et se rassure en répétant inlassablement son discours dans un texte sobre et efficace qui reflète magistralement sa volonté de réussite. Son engagement suit le chemin qu’elle s’est tracée afin d’atteindre l’excellence. Pourtant elle s’aveugle, ne crée plus de limites, franchit l’irréparable et se retrouve dépassée par sa propre ambition. Adoptant l’immoralité de son entreprise afin de protéger leurs / ses intérêts, il n’y a plus de salut mais la folle concrétisation d’années de souffrance et de sacrifices.
Macro-intimité
La principale qualité du long métrage de Tony Gilroy se résume essentiellement par ce traitement de l’intime au service d’une affaire économico - politique. Le réalisateur montre l’incohérence d’un système qui place la solution du compromis ou de l’indemnisation au dessus des vies humaines. La machinerie des entreprises multinationales obnubilées par les bénéfices, le leadership et les nouveaux marchés est habilement traitée par détournement scénaristique, le réalisateur préférant mettre en avant les affres de l’humain embrigadé dans cet épouvantail industriel. Le travail de lecture est donc spécifique car il faut deviner à partir de ces psychologies (surtout lors de la première partie) l’ignominie et l’absurdité d’une telle situation. Certes, Gilroy reste académique dans sa mise en scène et nous gratifie d’une seconde partie beaucoup plus linéaire et mouvementée quant à l’évolution du trio.
Structuré essentiellement autour de ces trois personnages, Michael Clayton n’essaye pas de décrire les tenants et aboutissants d’une affaire financière aussi importante, ni forcément d’en mesurer les conséquences politico médiatiques. Se refusant à tout essai didactique, il tisse une dramaturgie au service de l’humain dans un jeu de l’intime qui évite habilement (volontairement) les passages obligés qu’impose trop souvent ce genre de métrage. Si Gilroy n’enlève pas la dimension politique, il en dilue conséquemment la portée, ce qui le met à contre courant de ses illustres aînés à commencer par Pollack lui-même. Ce parti pris résulte d’une évolution cinématographique qui consiste à voir « au travers » de ceux qui font / subissent les évènements. Si l’écriture privilégie un Michael Clayton ébranlé dans ses convictions, celle-ci ne tombe pas dans le panneau de la moralité facile lui permettant alors de mettre en avant les paradoxes d’un marché qui ingurgite de l’humain afin de le broyer dans ses entrailles nourricières. Cette dimension par l’individu rend ce film stimulant et vraiment cinématographique. On aurait pu craindre de la part du scénariste des Bourne un long métrage trop axé sur l’écriture, oubliant ainsi la force des images et des situations dans l’exemple. Ce n’est pas le cas et si « l’affaire », assez simple au demeurant, reste vague, lointaine et somme toute très peu abordée, l’errance de nos personnages fait ressurgir l’incroyable distance entre cet univers et la vie de millions de gens. La démonstration est alors réussie, malgré un épilogue sincère mais trop factuel dans son exécution, Tony Gilroy arrivant même à proposer une écriture faite d’espaces, de raccourcis et d’ellipses « dynamiques ».
Film déroutant, assumé dans son parti pris scénaristique, campé par un trio d’acteur époustouflant de maturité et de maîtrise, Michael Clayton conforte la position d’un cinéma américain capable d’être contemporain de son époque, ce qui, par les temps qui courent, n’est pas un mince exploit !
geoffroy
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