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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Darling
France / 2007
07.11.2007
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Exceptionnellement : deux points de vue, deux auteures sur un film de femme(s).
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TOMBER SEPT FOIS, SE RELEVER HUIT
“On dirait qu’elle est passée dans un broyeur. C’est plus une femme à l’intérieur, c’est du steak haché. ”
Christine Carrière nous présente son héroïne comme un animal social qui possède une extraordinaire volonté de vivre. Elle l’aborde avec pudeur et distance, refuse le pathos et la victimisation gratuite. A tous les coups durs de son existence martyrisée, Darling répond en allant de l’avant. Elle encaisse avec dignité et ne se laisse jamais abattre. Née dans une famille de paysans pauvres, Darling veut à tout prix s’extraire de cette vie âpre qui l’insupporte, rêve de camionneurs comme d’autres de prince charmant et tombe sous la coupe de ce qu’elle cherchait, le premier (routier) venu. Et comme elle n’a pas de chance, le premier venu est un vrai pourri. Il y a quelque chose de très psychanalytique dans son parcours : elle semble inconsciemment chercher ce qu’elle redoute le plus, elle reproduit les schémas traumatisants…
Le film commence comme une comédie méchante qui jongle sans cesse entre le burlesque et le tragique, à tel point que le spectateur s’en trouve déconcerté et a bien du mal à adhérer. Mais progressivement, il se mue en chronique sociale d’une misère ordinaire, une misère qui touche des milliers de femmes mais que l’on n’entrevoit que dans les plus sordides faits divers. « La merde des inconnus, tout le monde s’en fout », dira Darling. Le film ne délaisse pas pour autant le ton sarcastique du début mais les violences que subit Darling montant crescendo, le film prend logiquement une dimension beaucoup plus dramatique. Le film gagne alors en consistance et en émotion, jusqu’à la scène finale, absolument bouleversante.
Pour ce portrait de femme, Christine Carrière a choisi Marina Foïs. Passage semble t-il obligé pour un acteur comique, cette dernière casse ici son image de clown et offre une prestation tragi-comique pleine de promesses. Quant à Guillaume Canet et à sa gueule d’ange, il est presque choquant de le trouver aussi crédible en beauf intégral et ordure de la pire espèce.
Karine
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ET LA TENDRESSE, BORDEL !
"Tes frères ont pas eu de chance, pourquoi que t’en aurait, toi ?"
Pour appréhender l’histoire accablante de Darling et être capable de la restituer au plus près, Christine Carrière n’avait d’autre choix que de se défaire un à un des oripeaux qui entourent généralement ce type d’histoires : mise en scène appuyée, séquences à fort effet lacrymal, happy end dégoulinant. Un dépouillement quasi spartiate qui contraint le film à reposer entièrement sur son personnage (et son interprète) principal. Plutôt escarpé, comme chemin cinématographique... et pourtant magistralement parcouru ! La réalisatrice réussit en effet le pari de parler d’une femme battue, violée et humiliée sans la moindre complaisance ni le premier embryon de voyeurisme, en reléguant hors-champ toutes les horreurs dont elle est victime, et surtout en la rendant belle. Oh, pas de cette beauté physique qui est si futile et partiale, mais d’une beauté intérieure qui irradie l’être tout entier. Malgré la violence de son existence, malgré ses choix si souvent contestables, on éprouve une empathie inconditionnelle pour Darling. Et peu à peu une colère non moins inconditionnelle envers le sort ou le destin, peu importe le nom qu’on lui donne, qui s’acharne sur elle.
Car c’est une logique finalement implacable qui conduit Catherine, petite fille boulotte et mal aimée, à devenir Darling, une femme brisée et meurtrie, dépossédée de ses enfants et comme privée de bonheur. Issue d’un milieu social sinistré, élevée sans amour dans la pire misère intellectuelle, quel héritage culturel ou social pouvait-elle attendre, si ce n’est celui de la reproduction systématique des erreurs ancestrales ? Lâchée dans la vie sans en connaître les règles, ne maîtrisant aucun code, elle est comme un soldat qu’on envoie sans arme sur le champ de bataille : condamnée d’avance. Que personne ne s’étonne, alors, de ses choix désastreux !
Mais la prédestination, réelle ou construite, n’intéresse pas Christine Carrière. En contrepoint à chaque suggestion de maltraitance ou de violence, la voix off de l’héroïne apporte une note d’autodérision, de légèreté ou simplement de résignation : pas la peine de s’appesantir, nous dit Christine Carrière par la voix de son héroïne. C’est qu’elle se refuse à traiter son personnage comme une victime ! Elle la montre au contraire comme un bulldozer qui continue d’avancer quels que soient les obstacles qu’il rencontre. Darling fonce dans quelques murs et sort plusieurs fois de la route, mais ne renonce jamais. Pas par excès d’angélisme ou d’optimisme sécurisant, mais simplement car elle comme ça. En la montrant telle quelle, sans fard ni misérabilisme, Christine Carrière ne lui rend pas un honneur qu’elle aurait perdu mais affirme haut et fort sa dignité. Un respect qui est à la clef de la réussite du film.
Difficile de dire ce que le film doit par ailleurs à l’interprétation habitée de Marina Foïs, mais c’est forcément beaucoup. Quand elle l’endosse, le personnage de Darling sonne comme une évidence, loin de toute caricature ou au contraire tentative de "normalisation". En la pensant simplement comme un être humain, elle la sauve de l’horreur absolue, , et permet au film d’être un témoignage aux élans universels qui rend hommage à la vraie Darling mais aussi à tous les êtres en souffrance.
MpM Karine & MpM
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