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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Les promesses de l'ombre (Eastern promises)
/ 2007
07.11.2007
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LA VIOLENCE DANS LA PEAU
"- On dirait le bortsch de mon père."
Les promesses étaient grandes. Après l'excellent History of Violence, on attendait avec impatience le nouveau Cronenberg, qui loin de s'assagir, mélange de plus en plus habilement ses obsessions de la génétique et de la transformation physique avec les tourments psychologiques de ses mutants. Ici le tatouage fait office de métamorphose, lecture graphique d'un passé et d'un statut. Point de départ fascinant, ce film sombre ne tient pas toutes ses promesses, survolant trop de sujets et abordant maladroitement celui qui en est le coeur : la famille. Les ponts entre le genre - le film noir - et le message - les relations humaines par delà le sang et les préjugés, donc les gènes - ne sont jamais assez harmonisés pour nous lier à une histoire violente (une boucherie parfois) où le suspens ne captive jamais réellement.
Bien sûr, Croneberg sait ménager ses effets : dès le début, le tranchage de gorge est clinique, exhibé, masochiste. Son savoir-faire en chirurgie cinématographique est intact. Il est beaucoup moins à l'aise dans les rapports amoureux ou disons les apports sensibles du scénario. Il faut toute la compétence des comédiens pour nous faire croire à leurs troubles intimes ou leurs contorsions traumatiques. Il ne suffit pas d'avoir des familles dysfonctionnelles dans les bas-fonds de Londres ("une ville de putains et de pédés") pour nous émouvoir. D'autant que la fin semble courue d'avance tant le personnage féminin est prévisible. Ce n'est pas la faute de Naomi Watts, comme d'habitude professionnelle jusqu'au démarrage de moto.
Père et fils & co
Mais on sent que les personnages masculins sont bien mieux choyés. Le père et le fils, mais aussi le troisième homme, comme un fils, font un trio passionnant, portés par trois comédiens magnifiques. Si Armin Muhler Stahl et Vincent Cassel flirtent parfois avec la caricature et l'excès, Viggo Mortensen est exceptionnel. Enigmatique, invincible, désinibé, charismatique et ambivalent, il a la sauvagerie nécessaire et l'intériorité indispensable pour faire croire à ce protagoniste qui fait le lien entre le bien et le mal, la lumière et l'ombre. Son combat, à poil, la chair exposée aux armes blanches, dans le sauna restera dans les annales du cinéma. Sans un comédien de cette trempe, la force et la vitalité de la mise en scène et du montage auraient été vains. Un simple thriller à hémoglobine où la partie de billard se transforme en carnage avec menace ultime sur un bébé qui n'a rien demandé à personne. Cela peut sembler insupportable pour les sensibles, ou cocasse pour les blasés.
Pourtant derrière cette farce "grandguignolesque" où la preuve par l'ADN s'avère le meilleur critère pour confondre le pire des salauds, il y a une tragédie shakespearienne sur la filiation et surtout la reconnaissance du père - génétique, réel, perdu, fantasmé - pour exister. Cette quête désespérée de l'affection paternelle afin d'être est sans doute la partie du script la mieux maîtrisée. A l'inverse, l'homosexualité refoulée du fils et la maternité (entre suavité comportementale et obsession naturelle) semblent trop étrangers au cinéaste.
L'infiltré
Paradoxalement, ce sont les sauveurs, ceux qui ne transmettent rien d'autre que leurs sentiments, et non leur violence. Sa partie féminine est sans aucun doute le ratage de ce film éminemment viril, dans un monde qui est de moins en moins dominé par les codes masculins. Cette perte d'identité, ou ces troubles de l'identité, celle dont on hérite et qu'on veut s'approprier ou celle que l'on veut transmettre, ce n'est rien d'autre qu'une histoire de rois, de putsch, une oeuvre flirtant avec Scorsese et Gray où le sentimental étire et dilue hélas le propos. Il y a, bizarrement, un manque de tension qui empêche le film de laisser son empreinte et nous piéger dans ses méandres. En revanche, cette horreur humaine si cruelle, s bien dépeinte, cet obscur objet du pire, laisse un profond malaise. Cronenberg ne serait-il pas le réalisateur du suicidaire? S'identifiant à son héros, son super-homme, le cinéaste a la nostalgie d'un mâle désormais icône, mais inexistant. Un fantasme. v.
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