Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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L'homme sans âge (Youth without Youth)


USA / 2007

14.11.2007
 



REDEMPTION





"Quels crimes a-t-il commis pour être touché le jour de Pâques ?"

Etre foudroyé un jour de Pâques, quel clin d'œil ! Comme le symbole serait transparent si l'homme ainsi touché ne s'en sortait pas non seulement vivant, mais aussi rajeuni, régénéré et supérieur ! Si cet impact est le fait d'un Dieu, c'est celui d'un Dieu farceur et ironique qui se rejoue le coup de la résurrection en poussant un cran plus loin l'expérience. Que devient l'être humain confronté à un équivalent de vie éternelle ? A quoi utilise-t-il ce temps qui ne lui est plus compté ?

Pour son grand retour, Francis Ford Coppola tape fort, avec un film qui multiplie les degrés de lecture. Fantastique, avec l'histoire insolite de ce vieillard qui rajeunit et se découvre un double. Haletante, en raison du contexte historique de la seconde guerre mondiale, du jeu de cache-cache avec les nazis, de la fuite éperdue du héros pour échapper à ses poursuivants. Romantique, aussi, puisqu'il y est question d'un amour éternel et inconditionnel qui à intervalles réguliers vient frapper le héros et le perdre, à moins qu'il ne le sauve. Mais ce qui sert réellement de fil conducteur à ces différentes facettes de l'histoire, c'est la question de la temporalité telle que Francis Ford Coppola a tenté de la formuler. Non pas de but en blanc, pas le biais de son personnage principal, mais à travers la structure de son film même.

Observons la construction de l'œuvre, tout en ruptures de rythme. La caméra a beau rester d'une fixité glaçante, l'image elle est en perpétuel mouvement, de même que l'aiguille des secondes bat toujours au même rythme mais nous rattrape systématiquement. Le cinéaste joue des effets d'accélération et de ralenti, distille du suspense, rompt l'angoisse par un tour de passe-passe, observe le monde la tête en bas, se gorge de flash-backs et d'ellipses, saute d'une année à sa suivante, d'une problématique à une autre. L'espace d'une scène étirée, il donne à sentir la durée, puis réduit à néant cette sensation en arrêtant le temps ou juxtaposant en un clin d'œil quantités de moments distincts. Tout, ici, évoque ce filet de temps qui s'écoule, même l'usage qu'il fait des sons et des musiques : on passe du doucereux au grinçant, d'une complainte mélancolique à des cordes hâchées, de cliquetis qui s'emballent à des grincements saccadés… qui tous trahissent l'intériorité de Dominic, avec ses montées d'adrénaline, ses moments d'angoisse et ses instants de répit, mais également le flot de la vie elle-même, qui jaillit entre deux périodes de pause.

Par cette invention de montage et de mise en scène, Coppola parvient à nous faire sentir ce qu'est cette notion abstraite de temporalité. Il fait du cinéma un art de la durée où le temps lui-même devient un composant primordial. En liant indéfectiblement langage cinématographique et conscience du temps, il sculpte celui-ci comme une matière élastique qui épouse la forme qu'on lui donne. Métaphoriquement, cela passe chez son héros par une révélation extrêmement vive de l'aspect circulaire du temps, de cette notion de boucle répétée et de recommencement qui est au cœur des croyances orientales.

Mais Coppola ne se contente pas d'allers et retours entre ce que l'on nomme communément "passé" et "futur", il passe également de dimension en dimension, mêlant rêve et réalité, fantasme et cauchemar. L'image se brouille et palpite, le reflet se met à parler dans le miroir, les tons livides et bleutés succèdent aux teintes chaudes et dorées. Là encore, la temporalité est comme explosée, tout semblant au final se passer en même temps, dans des lieux distincts ou simplement parallèles, dont il est impossible de distinguer la frontière. Qui est alors ce jumeau (auto-proclamé ange gardien) qui veille sur Dominic ? Un double venu, justement, d'une autre temporalité ? Un songe ? Une part de lui–même ? Peu importe, au fond. Cet autre Dominic lui sert à la fois de révélateur et de dédouanement moral, incarnant dans les combats intérieurs du personnage une voix froide et lointaine qui lui dicte une conduite indifférente aux réalités humaines. Pour cette conscience supérieure, seul l'intérêt supposé de l'Humanité, confondu avec celui de Dominic lui-même, compte. C'est lui qui l'incite à achever l'œuvre de sa vie sans se soucier des dommages collatéraux. Lui encore qui se réjouit d'une catastrophe nucléaire susceptible de créer un homme nouveau. La jeunesse éternelle n'est jamais gratuite : on se demandait, ici, quel était le prix à payer. Peut-être est-il la présence de ce double cynique qui sert de guide nonchalant dans le mystère des flots temporels.

Vers la fin du film, Dominic raconte la fameuse histoire de Tchouang-Tseu, qui rêve qu’il est un papillon… qui rêve qu’il est Tchouang-Tseu. A-t-il conscience d’avoir lui-même expérimenté le phénomène ? Le réalisateur, lui, le sait intuitivement. Son Homme sans âge s’enroule sur lui-même comme une spirale parfaite dont on ne peut distinguer ni le début, ni la fin. Et si la démonstration temporelle l’oblige à quelques lenteurs, voire à quelques passages ésotériques, même ces aspérités semblent habilement maîtrisées, comme nécessaires à la formation de cette œuvre entière et cohérente qui s’avère finalement à la hauteur de son ambition : dérouter.
 
MpM

 
 
 
 

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