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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Je suis un cyborg (I m a cyborg (but that s okay))
Corée du Sud / 2006
12.12.2007
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PETIT CONTE DE LA FOLIE ORDINAIRE
"Tu as toujours su que tu étais un néon ? Moi j’ai appris assez tard que j’étais un cyborg…"
Ceux qui voulaient enfermer Park Chan-Wook dans un rôle de réalisateur monomaniaque et machiavélique en sont pour leurs frais. Ceux qui le déclaraient fini aussi. Avec Je suis un cybog, il entame une nouvelle phase de sa réflexion cinématographique mais reste fidèle à lui-même : mise en scène brillante et inspirée, parfois à la limite de l’esbroufe, scénario bourré d’inventivité, absence totale de complexe, stylisation ludique de la violence (inspirée de l’esthétique du jeu vidéo et du cartoon), humour noir, etc. Un cocktail une fois encore détonnant car très loin des sentiers battus. Un peu trop loin, peut-être, par moments, tant il faut s’accrocher pour suivre le cheminement sinueux de son esprit…
En choisissant de situer son intrigue dans le huis-clos d’un hôpital psychiatrique, il s’offre l’immense liberté liée aux lieux où tout est possible, et en abuse allégrement. Le traitement de l’hôpital lui-même est extrêmement intelligent : avec ses couleurs vives ou acidulées et ses vastes espaces verts, plus proches d’Alice au pays des merveilles que de Vol au –dessus d’un nid de coucou, il devient le théâtre idéal pour la folie humaine et ses outrances. Park Chan-wook s’en donne bien sûr à cœur-joie, mêlant le burlesque au trivial, l’humour noir à la plus pure poésie, le fantastique à la critique sociale : Young-goon, vêtue en petit chaperon rouge moderne, travaille à la chaîne dans une usine hight-tech ; Il-soon semble tantôt un mime félin, tantôt un chevalier intergalactique ; les instructions illustrées du "code des cyborgs" semblent tout droit sorties d’un livre de conte, et ainsi de suite. Ca foisonne d’idées et de références, de personnages secondaires ultra-décalés, chacun dans un style bien particulier, d’anecdotes déjantées… souvent au détriment de l’intrigue. D’où le net sentiment que le film fait du surplace, manquant singulièrement de rythme et de cohésion. Comme si Park Chan-wook s’était mis à l’unisson de son sujet et du milieu qu’il observe.
Critique sociale
Cela ne doit toutefois pas empêcher de voir dans Je suis un cyborg une dénonciation féroce de la société coréenne actuelle engluée dans ses valeurs traditionnelles (cf l’homme qui s’excuse sans cesse et marche à reculons pour être sûr de n’offenser personne) tout en subissant de plein fouet les méfaits d’un progrès social trop vite intégré et mal vécu. Ainsi la mère indigne obsédée par son travail qui se détourne de sa famille au premier signe de non–conformisme (elle se débarrasse de sa mère et de sa fille en les internant, sans même chercher à comprendre ce qui leur arrive). Le réalisateur dépeint donc le monde comme un lieu froid et anonyme qui incite à bannir les émotions. Si Young-goon se prend pour un cyborg, c’est bien parce qu’elle cherche à devenir la machine dépourvue de sentiments qu’on attend d’elle. Il lui est en effet "interdit" d’éprouver compassion ou reconnaissance pour qui que ce soit. Malgré tout (ou peut-être en raison de cela), elle continue de chercher un sens à son existence, et l’exprime en s’imaginant un but en adéquation avec ses préceptes : tuer les "blanchots" (personnel médical) qui ont emmené sa grand-mère. Le mal-être de toute une génération est de la même manière concentrée dans les autres protagonistes : la jeune chanteuse traumatisée par son échec à un concours et qui ne pense plus qu’à le repasser une nouvelle fois, la coquette obsédée par son apparence, Il-soon terrorisé à l’idée de devenir totalement invisible et de disparaître…
Park Chan-wook montre d’ailleurs que la réponse médicale à un tel malaise est forcément disproportionnée, voire parfaitement inadaptée. Par exemple, pour soigner Young-goon, on lui fait des électrochocs, alors qu’elle a été internée justement pour avoir cherché à s’électrocuter… On ne sait alors plus trop si les patients sont vraiment malades ou si leurs "délires" ne sont pas juste un stratagème pour se protéger de tels traitements, à l’image de Young-goon qui se déclare ravie des électrochocs, puisque cela recharge ses batteries ! Le film s’avère ainsi à la fois comique et très sombre, aucun moyen de briser ce cercle vicieux ne semblant exister. Le réalisateur montre (prophétiquement ?) une société définitivement déchirée entre ceux qui s’accommodent de la réalité et ceux qui se réfugient toujours plus profondément dans un univers rassurant et factice qu’ils se sont créés comme une bulle protectrice. Plutôt terrifiant, et probablement déclinable dans bien des pays occidentaux. MpM
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