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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Un baiser s'il vous plaît
France / 2007
12.12.2007
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J’EMBRASSE PAS
Icônes burlesques
Charlie Chaplin, Buster Keaton, Woody Allen et Pierre Richard imprègnent l’univers d’Emmanuel Mouret, la nouvelle icône burlesque du cinéma français. Mais quel est le ressort d’un personnage burlesque ? Avant tout, la nécessité de sa survie au sein d’un milieu hostile.
Buster Keaton se présente comme un amateur de l’existence. Un homme contraint dans son enveloppe face à l'adversité du monde. Comme il n’a quasiment aucun contrôle sur sa vie, c’est la chance qui guide la plupart de ses actions et le sauve in extremis de sa maladresse humaine en prise avec l’univers (Le mécano de la Generale). Dans cette lignée d’impuissance, de combat solitaire, le burlesque de Pierre Richard s’impose dans les comédies des années 1970. Comme Keaton, il ne peut s’en remettre qu’à l’élasticité de son corps pour s’extirper des griffes d’une société de consommation impitoyable (Le distrait).
Contrairement à Buster Keaton, Charlie Chaplin contrôle l'espace et le temps. Il est l'improvisateur en état de crise, celui qui trouve toujours une solution et qui use d'imagination face aux dangers (Les temps modernes). Sa roublardise, sa mauvaise foi, sa fausse modestie, sa morale chancelante se perpétuent dans l’œuvre de Woody Allen. Les névroses insurmontables de l’anti-héros juif new-yorkais sont la source d’une lâcheté qui peut se révéler glorieuse (Hollywood ending) ou encore meurtrière (Crimes et délits).
Dans Changement d’adresse, l’avant-dernier film d’Emmanuel Mouret, la force burlesque naissait de l’impossibilité d’aimer et de la difficulté de se loger à Paris. À chaque échec, le héros était rejeté d’une aire amoureuse. Cette succession de « mises en boîte » sentimentales, d’appartements de plus en plus étriqués mêlait les influences keatoniennes (l’impuissance face à la complexité des sentiments, la guerre contre les objets) et chaplinesques (la capacité à combattre la précarité du logement, la lâcheté face aux conflits amoureux).
Amour baiser
La meilleure idée scénaristique d’Un baiser s’il vous plaît est celle du choix des métiers exercés par Judith (Virginie Ledoyen) et Nicolas (Emmanuel Mouret). La première est une chercheuse scientifique et le second, un professeur de mathématiques. Leur baiser vient d’une proposition de Nicolas, en manque d’amour physique, qui ne peut se donner à une femme sans l’embrasser. Il demande à sa meilleure amie de le dépanner. Il échafaude sa demande comme une hypothèse avec des variables, comme une équation abstraite.
Judith qui souhaite sincèrement lui venir en aide, accepte la relation sexuelle. Plus concrète que Nicolas, elle souhaite expérimenter l’absence de désir dans cette démarche. Hélas, leur baiser fait l’effet d’un sortilège qui pousse Nicolas à rompre avec son amie Câline (Frédérique Bel) et qui brise le ménage de Judith et le coeur de son mari Claudio (Stefano Accorsi).
Les deux séquences d’Un baiser s'il vous plaît les plus réussies sont les scènes de sexe avec une prostituée (Marie Madinier) et avec Judith. Emmanuel Mouret exploite alors à fond l’inconfort de la situation né de l’incapacité d’aimer due à l’impossibilité d’embrasser.
Le réalisateur signe un long-métrage dont la morale pourrait être : Si tu embrasses ton prochain patatras ta vie sentimentale en pâtira. Malheureusement pour le film, les baisers adultérins et leurs conséquences ont aussi le pouvoir de faire fondre le burlesque.
Con c’est con ces conséquences
La faiblesse d’Un baiser s’il vous plaît vient de l’absence de nécessité du propos car les personnages sont entraînés sans empêchements suffisants dans une ronde des sentiments. Celle-ci se conjugue sur deux modèles de narration. Deux procédés cinématographiques qui aident souvent à la lourdeur d’un film, le flash-back et le montage parallèle :
- Le flash-back : l’influence de François Truffaut que l’on retrouve dans l’univers d’Emmanuel Mouret se niche ici dans le traitement du film. La femme d’à côté s’ouvre sur une handicapée qui nous invite à écouter le récit d’une histoire d’amour contractée comme une pathologie mortelle. Un baiser s’il vous plaît commence par une rencontre. Celle d’Emilie (Judith Gayet, toujours juste et gracieuse) et de Gabriel (Michaël Cohen, séduisant dans une belle sobriété). Le couple propose au spectateur d’écouter l’histoire d’un baiser et de ses suites destructrices.
Si La femme d’à côté trouve une force d’inspiration très troublante dans sa double perspective de narration, Un baiser s’il vous plaît est limité par ses allers et retours incessants dans le passé et le présent. Les questions que Gabriel ne cesse de poser à Emilie sont un brin poussives. Elles ne semblent exister que pour alimenter et relancer l’intrigue trop mince. Cette insistance annonce malheureusement la chute du film, et finit par éventer la séduction qui enrobe le couple.
- Le montage parallèle : sans être réel ni franc dans cette oeuvre, il s’insinue dans l’alternance des deux intrigues sentimentales (celle d’Emilie et de Gabriel ainsi que celle de Nicolas et de Judith). Leur traitement linéaire plombe la fluidité du propos. Dans cette comédie de personnages, ce sont les caractères secondaires qui en font les frais :
- Claudio (Steffano Accorsi) est relégué au rôle de mari manipulé et souffrant. Son rôle n’est pas assez épais. Le spectateur ne peut partager totalement son amour pour Judith.
- Frédérique Bel, la petite amie de Nicolas, est aussi sacrifiée. Ce manque est très cruel car la comédienne fait des étincelles dès qu’elle apparaît à l’image. Cette actrice si lumineuse, si singulière dans son phrasé évolue comme un poisson dans l’eau au sein de l’univers aigre-doux d’Emmanuel Mouret. Et l’on se prend à rêver de Frédérique Bel remplaçant Virginie Ledoyen qui – myopie oblige ? – précède chacune de ses répliques d’un regard appuyé, et alourdit ainsi la musicalité des dialogues.
Les mots des maux
Si le fond laisse à désirer, le film en revanche est en pleine forme :
- les cadrages d’une subtile sophistication sont embellis par la lumière du chef opérateur Laurent Desmet ;
- les décors stylisés à l’extrême sont ornés d’œuvres d’art picturales qui influencent le conditionnement amoureux des protagonistes ;
- les morceaux de Schubert et de Tchaïkovski rythment, aggravent et allègent à souhait la valse-hésitation des caractères.
Enfin, Un baiser s’il vous plaît brille par la virtuosité de ses dialogues. C’est le flot continu des mots d’Emmanuel Mouret qui commande et guide son intrigue. Les mots qui verbalisent chaque ramification de pensée des personnages. Les mots qui annoncent et dénoncent les baisers. Les mots qui dissèquent leurs conséquences. Ce flot des mots, en apparence fluide comme l’eau qui coule, s’avère manipulateur, trompeur et fatal pour les romances. Souhaitons à cet auteur réalisateur qu’il aiguise encore plus les mots et les maux dans ses prochaines oeuvres. Qu’il écrive et filme une nécessité de survie encore plus aiguë. Que son burlesque triomphe plus fort encore et que ses dialogues soient vénéneux jusqu’à devenir meurtriers. Avec plus d’audace et de noirceur, Emmanuel Mouret a le talent de bâtir une œuvre burlesque, personnelle, amorale, atemporelle.
benoît
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