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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Cloverfield (Cloverfield)
USA / 2008
06.02.2008
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MANHATTAN MONSTER MYSTERY
"Okay, donc pour être clair, nous avons le choix de mourir ici, dans le métro ou dans les rues, c'est ça?"
Film « marketé » des mois à l’avance lors de la diffusion d’un teaser choc sorti de nulle part, Cloverfield peut se vanter d’avoir suscité un buzz extraordinaire sur de très nombreux forums du web. Diaboliquement orchestré par le nouveau wonder boy Hollywoodien J.J. Abrams, cette stratégie confère au film une attente énorme et une curiosité coupable. C’est donc dans ce gentil « bordel » médiatique que nous découvrons cet énième film de monstre tourné intégralement en caméra subjective. Et là, nous tombons des nues ! L’originalité du buzz ne tient pas ses promesses, malgré quelques idées, deux ou trois plans dantesques et l’ombre fugitive du 11 septembre. Si Cloverfield ne dépasse jamais le pétard mouillé qu’il est, son visuel reste intéressant voire intriguant. Dommage que sa thématique initiale se déstructure au fil de l’histoire, l’empêchant de re-codifier réellement le genre.
En utilisant du début à la fin l’image subjective, le cinéaste ne joue pas seulement de l’immersion - au sein d’un groupe de jeunes filmant en temps réel les évènements – ou de l’hyperréalisme - au cœur d’un territoire urbain assiégé par un monstre géant -, mais inscrit son film dans une modernité qui se réfère à l’ère de l’image instantanée, « postée » sur internet, que tout un chacun peut réaliser ou bien visionner. Cette dimension est essentielle pour comprendre une structure narrative qui ne fait que prolonger l’idée même du buzz en propulsant Cloverfield comme une « simple vidéo » amateur visible sur Youtube. Ce parti pris assimile une codification qui rend compte d’une réalité communautaire du public visé. Lorsque la tête de la statue de la Liberté échoue dans une rue de Manhattan, des jeunes se précipitent afin d’immortaliser la scène avec leurs portables ; l’évènement prend alors le pas sur un danger imminent. Produit de cette Amérique qui se met en scène constamment, le film de Matt Reeves essaye d’en montrer les audaces (son pitch), les peurs (11 septembre) et les boursouflures (communication/apparence/sensationnel).
Deuxième intérêt du film, l’épouvante est tout d’abord représentée par l’intrusion d’une menace inconnue. Celle qui attaque Manhattan et sa population ; celle qui fait ressurgir le terrorisme avant de se dévoiler dans toute sa férocité. L’entame est de ce point de vue réussie. Actant l’imminence d’un chaos annoncé, les premiers plans subjectifs créent la dichotomie nécessaire pour scinder en deux parties distinctes le temps de l’insouciance, de l’intime, des copains et des histoires d’amour, de celle du basculement vers l’irréel, le fantastique, la mort. Abrupte car tourné par un citoyen lambda, l’arrivée du monstre rend compte du caractère « envisageable » d’une telle menace. Métaphore explicite aux attaques du 11 septembre 2001, Cloverfield revisite cette blessure patriotique en nous « pondant » un Godzilla bis, hommage au film japonais et non américain, qui jouait également de la métaphore en référence à Hiroshima. A ce stade l’immersion fonctionne car elle surprend, rompt un tempo un peu lassant par effet de décalage et n’apporte aucune explication ni anticipation quant à l’existence du monstre. L’équilibre est alors menacé, tout comme la sécurité. Le chaos, filmé en temps réel et en continu, banni toute ellipse mais n’exclut pas pour autant les raccourcis narratifs. Le réalisateur réussit néanmoins son entrée en distillant une stupeur communicative.
A la suite de cette irruption dévastatrice, le film bascule dans le convenu ou l’ennui, c’est tout comme. Les bonnes intentions se perdent en route et la mise en scène devient fuyante, paresseuse et incapable d’apporter un point de vue différencié ; pire, elle accouche d’un mono point de vue ô combien improbable et beaucoup trop linéaire. Nous assistons, consterné, à un deuxième film, bien trop long, mal ficelé et perdant irrémédiablement de son originalité. Car comment diable un cameraman néophyte qui n’a jamais filmé de sa vie arrive t-il à tourner inlassablement, alors même qu’il doit fuir la menace dévoreuse ? Le réalisme en prend un coup, un sacré même ! L’immersion dans la spontanéité ne fonctionne plus et nous assistons à l’enchaînement des évènements, ni plus, ni moins. La densité narrative s’étire par rebondissements scénaristiques, alors qu’il aurait sans doute fallu intégrer des points de rupture faits d’ellipses et de coupures. Le concept est bafoué sur l’autel des bonnes vieilles recettes du film de genre avec tout ce que cela comporte de stéréotypes et de passages obligés. Revue de détail (attention spoilers !) :
- Le jeune amoureux transi qui part à la recherche de sa petite amie, bravant le danger ;
- la mort programmé des personnages les uns après les autres ;
- le concept terriblement novateur du temps contre la montre ;
- les scènes chocs plus ou moins obligées (métro, immeuble sur le point de s’écrouler…) ;
- la linéarité de la mise en scène où comment filmer le dos de ses camarades de fuite ;
- les avatars grotesques du monstre…
Le film alors s’essouffle et nous essouffle. Si les quelques plans d’ensemble font mouche, le final qui reprend vaguement l’idée de départ, ne peut supporter cette accumulation de poncifs. C’est ainsi que Cloverfield succombe à sa propre thématique en prenant le pari de cinématographier dans sa deuxième partie une histoire de monstre sur fond d’amour. Tel n’était pas le propos, ni l’ambition d’une œuvre qui aurait pu nous plonger dans l’horreur primaire, sans artifice, ni narration superflue. Qui aurait pu... Geoffroy
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