|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Redacted Revu et corrigé (Redacted)
USA / 2007
20.02.2008
|
|
|
|
|
|
LES VERITES DE L’IMAGE
« Une fois encore, une guerre absurde a provoqué une tragédie absurde. »
Volte face. Tel pourrait être le revirement d’un cinéaste lassé par un cinéma de genre qu’il aura trituré jusqu’à la moelle. Volte face, mais par reniement. Conscient des évolutions d’une information de plus en plus spectacle, instantanée et brute dans sa livraison des faits, Brian de Palma s’interroge sur la place d’un cinéma protestataire, politique, lui-même informatif et qui peut, encore / toujours ( ?), éveiller les consciences. Adossé à cette nouvelle société de l’image, Redacted Revu et corrigé ne la prend pas à contre-pied et, au contraire, affirme une nouvelle critique, un nouveau cinéma, un peu détaché car cynique, mais terriblement moderne. Cette réflexion sur l’image dans ses différentes sources, formes ou réalités, constate d’une interrogation. Celle d’un auteur qui essaye de comprendre le positionnement du cinéma d’aujourd’hui, qui légitime la redéfinition d’une critique cinématographique peut être affaiblie par la profusion de médias alternatifs, mais qui reste lucide quant à l’utilisation parfois démagogique d’évènements aussi tragiques que la guerre.
Un GI, Angel Salazar, filme avec une caméra DV ses copains d’unité. Il filme leurs détresses, leurs convictions, leurs folies.
Un documentaire français s’interroge sur l’utilité des Chek points instaurés par les américains afin de sécuriser le territoire.
Une journaliste de la télévision locale relaye les actualités au cœur de Samara.
Des caméras de vidéosurveillance livrent leurs images.
Enfin, des vidéos postées sur internet, des journaux télévisés, des blogs et des confidences par webcam interposée, comblent la narration de Redacted.
Patchwork visuel qui prend forme par cette diversité de support, le dernier opus « depalmien » recours à la multiplicité des sources d’images. Pour réfléchir sur le statut de l’image ; pour dénoncer la bêtise d’une guerre qui ne fait que reproduire les erreurs du passé (la référence à Outrages est limpide) ; pour s’interroger sur la capacité du cinéma à se moderniser sans perdre son âme. Mais à quoi bon filmer une fois de plus le conflit en Irak ? Pour y montrer les horreurs d’une guerre d’occupation qui ne dit pas son nom ; y dénoncer son absurdité, son enlisement, ses déchirements et ses dommages « collatéraux ». Certes. Mais plus encore, y triturer un évènement couvert par les journalistes du monde entier, entre vraie/fausse information et utilisation explicite de l’image à tout va. Brian de Palma s’engouffre alors dans un formidable (re)travail des images afin de fabriquer une information ponctuelle, définissable dans sa valeur purement performative, revisitant ainsi le processus habituel du « docu-fiction » d’un cinéma qui fait « semblant de ». Comprendre Redacted, c’est recevoir des plans issus de supports différents – viol filmé par la caméra DV d’un GI, sergent explosant sur une mine toujours filmé par le GI, GI se confiant à son père via une webcam, rixe filmée par une caméra de vidéosurveillance etc. – qui modifient conséquemment notre perception de la réalité. La forme qui en découle est désagrégée, prend l’information à sa source et la livre tel quel. Fondamentale pour plusieurs raisons, le processus de fabrication du film évolue et questionne l’importance du « filtre » de l’auteur, sur son rôle, sa créativité, ses orientations cinématographiques. Cette nouvelle matière première permettra au cinéaste de définir une synthèse filmique innovante jouant sur les formes dans un travail d’expérimentation. De Palma reconstruit donc une image déjà existante, déjà produite.
En acceptant cette réalité complexe car abrupte dans sa (re)connaissance, De Palma assume le parti pris d’une forme qui oriente un fond, de la conception des images à leur réception. Dans Redacted, il faut comprendre que les deux se font simultanément, réduisant alors le décalage entre ce que montre une image et la réalité des faits. Par cette nouvelle vérité de l’image, le film devient plus politique qu’esthétique. Il transforme au-delà du simple effet de style l’utilisation a posteriori des images sources qui fabriquent l’évènement. Mais, comme tout auteur, il ne s’adoube pas. Si son processus créatif vise à mettre en forme des plans issus d’autres médias, il continue à créer le lien, informe le spectateur de l’existence d’une narration avec des enjeux et même une thématique. Le renouveau vient d’un constat. Celui d’un dépassement d’une image sur une autre. Oui, Internet et ses blogs ont, semble t-il, pris le pas pour rendre compte de la réalité.
Mais ne soyons pas aveugles. Par l’intermédiaire de ce brûlot, De Palma dénonce, avertit, stigmatise et devient un « espèce » de porte parole qui joue avec ces nouveaux outils façonneur de sens. En faisant ce travail, il redéfinit son cinéma, celui qui regarde à l’intérieur de, pour comprendre. Ouverture et fermeture. Deux maîtres mots du cinéma « depalmien » qui n’a eu de cesse de fabriquer du sens par ses mouvements de caméra. En traitant de la même thématique que sur Outrages, il ne fait que constater une constante, celle des atrocités engendrées par la guerre. De nouveau, il prévient. Mais change de ton, d’approche et de perception cinématographique. Comme notre époque. Le fond reste le même, la forme non. Mouvement irrémédiable d’une modernité qui pense, fabrique et véhicule dans un même processus les images reçues. Le décalage n’existe plus et tout est livré en un seul paquet.
A ce stade, De Palma reproduit avec le regard attentif de celui qui devient un anonyme de l’image, comme n’importe lequel d’entre nous ayant une caméra DV en sa possession. Oui ! De Palma met à disposition dans une fiction didactique ce que nous pouvons trouver sur Internet. Lui-même avoue, après de nombreuses recherches sur le net que « tout y était et tout y était en vidéo ». Reproduction donc, mais reconstruction également. Si tout est déjà là, il doit néanmoins tout retourner. Très bien. Alors il marque des vérités en y plaquant l’instantanéité des évènements par l’approche multivariée des supports. Ce qu’il veut c’est mettre en avant cette nouvelle réalité. Alors son œil s’efface au profit des messages blog, de l’impartialité d’un axe de caméra de vidéosurveillance et de ce que filme le GI. Le plan change donc de nature. La valeur de l’image aussi.
De Palma réadapte un visuel pour nous plonger dans une perception de télévision ou l’actualité prend forme sous nos yeux. Cette dépossession du cadre est le résultat d’un exercice qui évite tout point de vue cherchant désespérément le vrai du faux. Il ne reste plus que cette plongée radicale au jour le jour autour de ce terrible conflit.
Alors on quitte la salle, on rentre chez soi et on allume son ordinateur. Les mêmes images nous assaillent. Le pont est construit. Le « métacinéma » aussi. geoffroy
|
|
|