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ENFER ET CONTRE TOUS
Presque une décennie d'absence. Eric Zonka, pourtant auréolé de succès critiques et d'estime publique avec sa Vie rêvée des anges, aura attendu 9 ans pour passer du Petit voleur à Julia. Une éternité dans une oeuvre. Le temps nécessaire, peut-être pour se ressourcer, pour puiser l'énergie nécessaire qui conduit du désir au plaisir. Cette impulsion qui a conduit Zonka loin du cinéma à la Pialat, loin des décors grisâtres de la France. Une envie de voyager, de se dépayser. En artiste indépendant, il rend hommage à un autre maître, Cassavetes. Car il est impossible de ne pas rapprocher Julia de Gloria. Le style même du film s'offre la tonalité d'âpreté nécessaire, ces instants volés, fugaces qui saisissent un réel pourtant fictif. Il cherche à capter une vitalité dans son histoire qui contraste avec la destruction du personnage. Par conséquent, le film s'épuise parfois dans sa quête d'action. La divagation du personnage alcoolique, l'errance même qui la conduit de Los Angeles au Mexique nous contraint à accepter, nous spectateur passif, l'absence de destination. Julia possède un véritable suspens, malgré ses maladresses dans le découpage. Le réalisateur tient solidement son histoire, du début à la fin, n'hésitant pas à créer des rebondissements abracadabrants, utilisant tous les codes du cinéma américain. Jusqu'à cette percée du "mur" qui sépare les USA du Mexique, si fragile, si vain, si ridicule et rendant la scène presque cocassse. Car, contrairement à un Dumont avec son Twentynine Palms, Zonka cherche à nous impressionner. Course-poursuite, kidnapping, armes à feu, flics, parano, menaces de mort : tout y passe. Les scènes s'enchaînent à grande vitesse, ne laissant pas de répit, et n'oubliant jamais, au passage, les atermoiements de son "héroïne". C'est sans doute la force de ce film qui exploite tous les artifices d'une descente aux enfers, d'une spirale "infernale" : il laisse la porte ouverte à cette femme alcoolique de choisir, à chaque fois, son destin, souvent pour le pire, et parfois pour le meilleur.
Véritable catastrophe ambulante, déconnectée des réalités, prête à croire un mytho, à enlever un gamin, à se noyer dans la vodka et se faire baiser sur la banquette arrière d'une bagnole, entre cupidité opportuniste et instinct de survie amoché, Julia est l'un des plus beaux rôles féminins de ces dernières années. Que serait Julia, d'ailleurs, sans Tilda Swinton? A la hauteur de sa réputation de grande actrice, qu'elle ait la bouche pâteuse et la gueule de bois ou l'air affolé et paniqué, Swinton n'est pas seulement une incarnation. Elle ne donne pas simplement corps à un personnage fictif. Elle lui apporte un supplément d'âme, une humanité désarmante qui nous conduit à ne jamais la juger, à essayer de la comprendre, à respirer à la fin : sa déchéance et sa rédemption démontrent que nous avions eu raison de l'aimée, d'emblée. En la "sauvant" au sens christique du terme, le cinéaste nous prouve aussi qu'il l'aimait. Qu'il aime ces femmes subissant les lois de la précarité et les jugements de la société, en marge, prêtes à tout pour résister à un destin écrasant. Il en fait des anges blessés, retrouvant leur dignité, rentrant un peu dans le rang. Leur calvaire aboutit toujours à une éclaircie. La traversée du désert (au sens propre du terme) est parfois indispensable pour redonner un sens à sa vie. Mais cela valait bien dix ans d'attendre pour voir une oeuvre aussi personnelle, ambitieuse et abrupte, à l'image de cette fin où le destin change de destination. v.
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