Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Il y a longtemps que je t'aime


France / 2008

19.03.2008
 



UN SECRET





«- Ils sont toujours sympas les gens chargés de fouiller dans ta vie. »

« Les romans ne sont que des constructions abstraites qui n’ont rien à voir avec le vécu. Ce ne sont pas des bréviaires.» Il fallait oser pour un écrivain faire dire cela dans un film... Il fallait pourtant être un écrivain, c'est-à-dire un auteur qui ne peut pas raconter son histoire avec des images, du mouvement, des incarnations charnelles et sensorielles, pour être, à ce point, fasciné par des corps, des regards. Cela aurait pu être fascinant mais Philippe Claudel a raté son essai. Certes, le film est agréable à voir. On sent bien là le combat d’un dinosaure qui vénère encore une certaine forme de culture – les beaux arts, l’écriture et la lecture, le silence. Œuvre classique, on aurait pu au moins s’étonner d’une narration intrigante. Un lourd secret révélé par bribes. Dommage qu’avec un peu d’intuition on devine la vérité. Et même si l’on reste surpris par cette révélation, notre regard sur le film, son sujet, et donc le personnage principal change de nature, et pas forcément dans le bon sens. Nous croyions avoir affaire à un monstre. Nous nous en délections. Mais il a fallu une sorte d’empathie, de bonté déplacée pour que le Diable, la tueuse d’enfants, ne soit qu’un être désespéré. On passe du jugement à la compassion, mais certainement pas pour les bonnes raisons. Il aurait été plus fort que notre regard mue parce que nous avions compris un acte atroce, ou parce que justement il n’y avait rien à comprendre. Au lieu de cela, l’acte change de motif et innocenterait même la pire des coupables. La tragédie familiale s’étire et résonne faux sur la fin puisque le tragique s’est effacé au profit du mélodramatique.

Le film s’est donc affadit. Heureusement, Kristin Scott-Thomas à peine maquillé, tendue, fébrile, perdue, impressionne. Entre souffrance intérieure, autorité violente, décalage de la réalité, sensibilité exacerbée. Même la caméra épouse son état, tantôt vive, tantôt posée. Zylberstein ne lui fait pas d’ombre mais, premières rides apparentes, yeux cernés, lui renvoie une belle lumière. Cela permet d’oublier les clichés (« une vraie famille Benetton » avec ses petites Vietnamiennes adoptées, la quiche Lorraine … en Lorraine, etc…). Les dialogues du quotidien, à la fois justes et insipides, enrichissent des scènes plus convenues. Même la philosophie si belle de Claudel passe difficilement à l’image : « Parfois c’est mieux de ne rien savoir», « Pourquoi je ne me souviens pas ?» Cette obsession de la connaissance, ce diktat de la transparence sont plus subtilement évoquées dans des scènes collectives où le « bobo » est le véritable tyran idéologique des temps modernes. Les digressions sur Rohmer et Racine, la forêt, la télé, le foot, la province et Paris, les idées fixes des bourgeois en disent bien plus sur notre capacité à infliger une double peine morale aux coupables. Kristin Scott-Thomas est ainsi sortie de prison, pour se retrouver dans une prison double : celle du souvenir de son acte et celle d’une société qui continue de la juger.

Ainsi ce passage dans une maison où des familles se réunissent collectivement marque-t-il les limites de l’utopie soixante-huitarde et son échec intellectuel. Trop déterminé à cloisonner la société dans des préjugés, cette classe médiocre est la véritable responsable de l’enfermement qui cerne tout le film (alzheimer, dépression, mutisme, forme d’autisme, prison, …). Même le film ne se libère pas de son carcan formel où les visages font l’essentiel de la mise en scène. L’acteur comme narrateur. C’est sans doute cela qui nous plaît dans le personnage de Scott-Thomas : elle garde ses distances, une certaine liberté. « Je suis encore loin » dit-elle pour refuser un premier contact amoureux. Nous aussi, on reste à distance de cette histoire classique de rédemption. Trop d’intentions, trop de citations. Bien sûr il nous renvoie à « L’absente » de Giono. Il souligne, surligne tout son propos avec une culture qui s’étale comme de la confiture. «Ils m’ont beaucoup aidé les livres. Parfois ils sont meilleurs que les hommes.» Quand on est romancier et que l’on réalise un film, on ne se complaît pas dans la littérature. C’est comme ne pas couper le cordon ombilical… ou ne pas résoudre son complexe d’Œdipe.
Si bien que lorsqu'on entend «Je suis là» pour faire écho à « Je suis encore loin », on a trop compris le message, et comme nous sommes ailleurs, cela ne nous touche pas.
 
v.

 
 
 
 

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