Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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3H10 pour Yuma (3:10 to Yuma)


USA / 2007

26.03.2008
 



GARE AUX FLINGUES





«- Nom de dieu, il a tué plus que la sécheresse. »

Il est symptomatique de constater que le Western ne fait plus recette dans le pays de l’Oncle Sam. Triste constat pour un genre qui aura façonné tout un pan du cinéma Hollywoodien et, par extension, la construction d’une Amérique fantasmée. Malgré quelques essais plutôt réussis (The Missing et Open Range en 2003 et L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford en 2007), le Western a déserté les salles de cinéma depuis une bonne décennie et le véritable succès depuis Impitoyable (1992). C’est tout dire. Alors soyons enthousiaste et savourons ce bel hommage rendu à l’âge d’or du genre dans ce remake maîtrisé car non nostalgique au chef-d’œuvre de Delmer Daves (1957). Le film de James Mangold n’est ni crépusculaire, ni spaghetti, mais un retour aux sources modernisé du vrai Western « primitif » qui, avec ses grands espaces, son histoire linéaire mais captivante, ses personnages carrés diaboliquement bien fouillés, son rythme effréné entre courses-poursuites et règlements de compte, grave dans la roche rougeâtre la nature des hommes en proie aux conflits psychologiques les plus tendus. 3H10 pour Yuma est un spectacle sans esbroufe qui redore le blason d’un genre trop souvent oublié.

En évitant le piège facile du mauvais remake beaucoup trop fidèle pour être original, le long-métrage de Mangold arrive à mettre en perspective un Ouest en mutation qui trace les contours d’une Amérique qui verra bientôt disparaître la figure symbolique du héros des « hautes plaines ». Le réalisateur puise son inspiration directement de cette mythologie pour réécrire une histoire qui porte en elle les valeurs fondatrices d’un Ouest où des hommes libres se créent un possible uniquement par leurs actes. Chaque personnage se détermine ainsi en fonction d’intérêts propres (l’argent pour Ben Wade, le bien être de sa famille pour Dan Evans) qui rendent compte d’une époque difficile car violente. Seul l’état d’esprit change en opposant le fantasme flamboyant de l’un au respect des règles de l’autre.

Malgré une justice qui se fait encore à coups d’intimidation (grange brûlée), de règlement de compte expéditive par le colt ou de mise à prix en tout genre, la société évolue inexorablement vers plus de responsabilité et de modernité (le chemin de fer devient le symbole en marche d’une nation qui s’unifie). S’il est impossible de faire table rase d’une époque où le règne du colt est monnaie courante – fabriquant par la même des légendes à la Ben Wade –, il semble de plus en plus difficile d’assumer son rôle de hors la loi dans un monde qui s’organise, se moralise et se judiciarise. Croisée des chemins d’une Amérique en pleine reconstruction – post guerre de Sécession – le film, encerclé par des paysages immémoriaux, raconte dans un souffle épique le destin tragique de deux hommes que tout opposent, mais qui sont les représentants des deux figures immuables de cet Ouest légendaire.

Ben Wade, célèbre bandit charismatique, riche et libre. Dan Evans, fermier pauvre qui doit assumer la charge d’une famille. L’un perpétue le mythe d’une Amérique individuelle, violente, exubérante mais fascinante à plus d’un titre. Il ne construit rien, galope de ville en ville en foulant de ses crimes les terres arides des Etats d’Amérique. L’autre façonne par son labeur un monde nouveau, plus serein, responsable et porteur de stabilité.
De cette rencontre improbable mais inévitable, James Mangold construit un parcours plus psychologique que factuel. Si les scènes propres au genre ne sont jamais sacrifiées, ni caricaturées – attaque de diligence, refuge dans une demeure, course-poursuite, traversée périlleuse d’un territoire indien, « gunfight final » – elles s’inscrivent dans une relation qui lie nos deux personnages jusqu’au dénouement final. La mise en scène ne quitte jamais nos deux « héros », les filme toujours à hauteur d’homme pour n’en privilégier aucun afin d’établir un équilibre acceptable entre ce que l’on est, ce que l’on doit faire et le souvenir qu’on laisse. En allant jusqu’au bout de sa démarche, Dan Evans se place sur le même niveau que Ben Wade et participera à sa manière aux légendes qui traversent l’Amérique. Ce sera également le seul moyen de prouver à son fils combien il est courageux (alors qu’élever des enfants dans ce monde est beaucoup plus difficile). En aidant ce fermier plus tenace que n’importe quel Shérif, Ben Wade supporte le fardeau d’un homme obligé à tous les sacrifices pour s’accepter enfin et exister auprès de son fils. La dernière séquence, époustouflante de jubilation et d’intensité mêlées, imbriquera à jamais deux hommes dont les valeurs et les styles de vie sont bien différents. Ils comprennent ceux que les autres ne voient pas (le banquier, les hommes de mains de Ben Wade, les miliciens et autres hommes de lois) en faisant bouger leur ligne de conduite, redéfinissant ainsi les notions de courage et de sacrifice. Soit l’essence même du Western dans sa capacité à fabriquer des symboles. L’un deviendra un héros, tandis que l’autre une légende vivante.

3H10 pour Yuma est donc bien plus qu’un simple divertissement avec ses chevaux et ses flingues par sa capacité instantanée à mettre en perspective ceux qui auront été en quelque sorte les instigateurs de l’Amérique d’aujourd’hui.
 
Geoffroy

 
 
 
 

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