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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Jeux de dupes (Leatherheads)
USA / 2008
23.04.2008
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CHERI JE ME SENS RAJEUNIR
« - Un café. C’est combien ?
- 10 cents.
- Tenez voilà 15 cents. Gardez la monnaie.
- Je vais pouvoir m’acheter une maison ! »
Evidemment, à cause des préjugés qui servent de prétexte comme quoi une comédie est un genre mineur par rapport à un drame, ce nouveau film de George Clooney se fera boudé par certains élitistes. Pourtant le réalisateur reste cohérent. Changeant une fois de plus de tonalité, il adapte sa direction artistique au sujet. Le noir et blanc fait place au sépia et aux couleurs un peu délavées. Le film s’avère furieusement vintage, swinguant ainsi comme une comédie jazzy rappelant l’âge d’or d’Hollywood de la fin des années 30. Clooney apprécie les films élégants, réfléchis, chorégraphiés. Il s’affirme même comme un cinéaste essentiel dans l’Amérique contemporaine.
Après la TV, les jeux, la guerre froide et la politique, la star « pluri-casquettes » continue d’explorer une facette de son pays qu’il abhorre et qu’il adore tant : celle des mouvements de masses. Les racines d’une civilisation qui trouve son terreau dans les médias, l’argent et le divertissement. En prenant l’exemple du football américain, véritable messe, il démontre comment ce sport a basculé de l’amateurisme à l’industrie.
Car juste avant la crise de 29, le football universitaire soulevait les foules quand le football pro avait une vache (excellente interprétation aux côtés du bulldog) pour unique spectatrice. Autant dire que le foot n’intéressait personne quand de vieux briscards y jouaient. Tout changea, y compris la folie et l’amusement qui se mua en ennui et enjeux statistiques, lorsque les équipes invitèrent des « dieux du stade » universitaire. Ce n’est pas juste les dollars qui transforment ce sport. Ce sont aussi les méthodes, les tactiques, les conditions physiques, l’hygiène de vie qui l’ont fait évoluer. Il devient alors un sport moderne, prêt pour les grands arènes et les médias fédérateurs (à l’époque presse écrite et radio), avec ses règles officielles, ses licences, ses sponsors… Ce qui donnera un final jouissif qui « s’enlise » dans un « match » boueux, sorte de débâcle épique qui signe l’arrêt du jeu, préférant la technique et le fric.
A chaque film, George aime filmer les moments où tout bascule, où l’Amérique a perdu un peu plus de sa liberté, de son insouciance, de son innocence.
Avec brio, Clooney réussit, en plus, à ressusciter un style d’écriture, de jeu tout en insufflant une mise en scène plus moderne. Le scénario est dynamisé par des antagonismes complémentaires, des intérêts divergents qui parviennent à coïncider. En s’inspirant d’On murmure dans la ville pour ses rebondissements situationnels et ses contradictions amoureuses, il fait revivre le plaisir des répliques cinglantes balancées par des acteurs détachés. Lui a des airs de plus en plus Cary Grant. Il peut même ne pas avoir de texte et faire comprendre au spectateur ses arrières pensées qui prêtent à sourire. Mais ce n’est pas seulement l’apparence physique de l’époque que George et Renée restituent avec coiffures et costumes, c’est aussi une manière de jouer, qui nous séduit immédiatement. D’autant que le film l’illustre aussi avec un portefeuille de « gueules » toutes plus attrayantes les unes que les autres.
Cependant, malgré l’aspect enjoué, burlesque, cocasse, le cinéaste n’oublie jamais son propos plus sérieux : l’émancipation des femmes, la réglementation nécessaire des jeux, le pouvoir des médias, la vie des prolétaires. Car ne croyez pas que tout cela est décousu et que Leatherheads / Jeux de dupes n’est rien à voir avec ses deux premiers films.
Au contraire. Clooney est obsédé par cette frontière entre la vérité, intègre, et le mensonge, le fantasme, le leurre. Il a filmé des mythos et des menteurs mais montrent aussi qu’ils peuvent être des mythes. Et en Amérique, « on aime nos héros ». Le sacré c’est intouchable. Cette valorisation de l’idole (comme les acteurs aujourd’hui) permet-elle de s’affranchir de la vérité. Voici donc l’antithèse de Good Night, and Good Luck où le vrai devait gagner, sans compromis, sans concessions. Mais le scénario complique cette simple dialectique sur les limites de la vérité en ajoutant les dilemmes professionnels, les choix sentimentaux, les consciences de chacun. Tout pacte, même amoureux, semble diabolique, comme dans l’ombre de Faust. Avancer mais à quel prix ? Gagner mais avec quel subterfuge ?
Le réalisateur répond de manière poétique. Sa fin à la Chaplin, presqu’utopique, révèle que la fiction et le rêve sont des notions incorruptibles. La fable est aussi indispensable que la critique. De même il n’hésite pas à filmer la fuite des deux vedettes comme une série de gags à la Tex Avery. Une farce qui ne finit jamais en eau de boudin… Cela donne une comédie atemporelle et intelligente. Un film qui n’a pas d’âge, ce qui est un compliment. D’ailleurs, depuis Ocean’s 12, on a bien appris qu’il ne fallait pas plaisanter sur celui de Clooney qui apparaît désormais comme le cinéaste qui aimerait tout rajeunir, même lui. vincy
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