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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Batman, le chevalier noir (Batman The Dark Knight)
USA / 2008
13.08.2008
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CAPE CODES
«- Quelle est la différence entre toi et moi ?
- Je ne porte pas de jambières de hockey.»
Dès lors que des auteurs se sont emparés des mythiques super-héros, ils ont apporté leurs obsessions et leurs atmosphères. Ce sera désormais le seul critère qui permettra à ces personnages de BD d’avoir une vie au ciné. Facile alors d’expliquer l’échec des Super-Man, Hulk, Daredevil… Ou au contraire de féliciter les autres : Raimi et l’existentialisme adolescent de Spider-Man, jusque dans les fantasmes les plus effrayants, Singer et la discrimination des X-Men, source de conflits et de culpabilité, et enfin Nolan et les limites morales de Batman, où l’éthique se confronte à une sorte de raison d’Etat. Et la raison, en l’état, est plutôt malmenée.
Post 11 septembre
Batman The Dark Knight a surtout poli et verni les coins anguleux du premier. Les séquences d’action ont gagné en lecture, en ampleur et en tension. Le casse du prologue est aussi brillant que brutal, renvoyant davantage à une mise en scène du cinéma des années 70 qu’aux effets contemporains. Le premier quart d’heure ne laisse de la place qu’à l’action, et Nolan, en deux longues séquences, installe à la fois la folie de son Joker et les failles de son Batman. Celui-ci est une masse lourde, calculatrice. Ce qui est exactement l’inverse du Joker, insaisissable, irrationnel. Ses tortures mentales ou saignantes sont de toute façon sadiques. On pourrait y voir un affrontement entre la puissance impériale d’une Amérique surarmée contre une coalition terroriste imprévisible. Cette métaphore politique où le héros/sauveur est incompris se prolonge aussi dans la dimension économique des entreprises de Bruce Wayne, qui est prêt à s’allier avec la Chine. Et le « conglomérat » de mafieux est une « fédération » cosmopolite et mondialisée. On aurait aimé que cette piste explore plus profondément ces liens. Batman en protecteur d’une Amérique agressée de partout (intérieur comme extérieur), une Amérique qui perd pied et se désagrège.
Trois actes vers un final tragique
Mais le scénario, très (trop ?) dense, fait abstraction de quelques détails. C’est aussi pour mieux distiller son message. Mais du coup, la narration, parfois, pèse sur le divertissement. L’oeuvre est presque trop cérébrale, et, contrairement à Spider-Man 2, ne déclenche aucune émotion. L’histoire n’est ni politique, ni économique, mais déontologique ou plutôt éthique. Pour cela, les auteurs ont imaginé un script très minutieux, comme un ADN hélicoïdale : Installation des protagonistes se tournant autour, interaction des intrigues puis, se rejoignant, affrontement fatal. Tout s’entrecroise, se dénoue et fusionne. Ainsi, au cours des trois grands chapitres, les tragédies conduisent Bruce Wayne a choisir sa voie, tout comme le procureur général ou le commissaire. Leurs destins vont, ainsi, de plus en plus s’unir, pour le meilleur mais aussi pour le pire. Toujours ce satané libre arbitre, ce cerveau plus que faillible, ces émotions tyranniques. La surprise provient parfois de l’élimination des personnages principaux, fabriquant ainsi un trauma et interpellant, du coup, ceux qui subissent ce cauchemar. Batman The Dark Knight n’est pas simplement une succession de souffrances physiques, c’est un calvaire moral permanent. Si Freeman (grande classe) et Caine (le sens de la dérision chic) agissent comme des consultants experts en sagesse, les autres sont en proie aux tourments les plus sombres et les moins honorables. Jeu de massacre où personne n’est capable d’être en paix. Une excavation pure et simple qui ferait de ces vivants des zombies vivant la nuit, dans le sens littéraire du terme.
Deux faces d’une même pièce ?
« Je ne suis pas fou ». Heath Ledger interprète un Joker aussi masqué que l’homme chauve souris. Son maquillage réaliste et sale le rend parfois triste et pathétique, comme un clown qui aurait mal tourné. Il fait oublié Jack Nicholson (un exploit en soi) et, oubliant l’aspect excentrique et cartoon, lui donne l’allure d’un psychopathe joueur. Il est une créature de l’enfer, avec son cerbère (trois chiens). Heath Ledger n’en fait jamais trop, il module même ses excès en les rendant presque anodins et en fait, bien plus cruels.
Face à lui, Christian Bale, impeccable dans toutes les situations, se donne tantôt un côté James Bond (gadgets, smoking, Lamborghini), tantôt une façade à la Terminator, froide et robotisée, pour ne pas dire déshumanisé. Cet alliage le rendrait invulnérable si Bale n’y apportait pas ses nuances humaines et sentimentales où la carapace la plus fine est bien celle de la boîte crânienne.
Ils sont deux faces d’une même pièce, une double-face qui fait écho au personnage de Aaron Eckhart, avec un profil plus avantageux que l’autre, même sui le Joker ne le voit pas de la sorte : « Que voulais-tu prouver ? Que tout le monde est aussi hideux que toi ? » Le cinéaste va plus loin en les opposants aussi vocalement. La voix de crécelle, nasillarde du Joker contraste fortement avec celle plus grave et mécanisée de Batman. Même la musique est parfois stridente, dissonante, laissant présager des drames futurs ou révéler un déséquilibre intellectuel présent.
Une action calibrée pour une fiction shakespearienne
Car le perfectionniste Nolan ne se contente pas simplement de créer des moments de tension, il cherche à fabriquer une œuvre cohérente et harmonieuse. Il restitue parfaitement cette urbanité poisseuse et contrastée. Comme dans ses films d’auteur, il réussit à rendre son espace tantôt pesant tantôt aérien, violent ou rassurant. Il mélange les beaux quartiers de l’élite branchée, cocons parfaits pour que le chaos terrorise ses résidents, et les bas quartiers des marginaux et des pourris, trous à rats idéaux pour la destruction des uns et des autres. En dehors de l’incartade à Hong Kong (qui rappelle un peu celle de Ethan Hunt dans M:I III), Nolan a filmé Gotham City à Chicago, permettant une plus grande diversité de décors et d’ambiance, des rivières au métro aérien, en passant par l’architecture avant-gardiste des buildings de l’après guerre qui font écho au concept de la métropole des Comics. Pourtant, il s’est détaché de la BD en tirant un trait sur le Manoir de Batman. Et en filmant en Imax les scènes d’action, il essaie même de donner une démesure aux actes héroïques du Chevalier noir. Même si le combat ultime est avant tout psychologique, les prouesses cinématographiques du film lors des poursuites ou des combats abasourdissent. Mais, plus admirable, elles n’écrasent pas l’enjeu réel du film, et notamment les liens humains qui se tissent. Mais le show n’écrase jamais les situations et leurs intrigues. Là, des servants à l’héritier (Hamlet ?), des traîtres aux répudiés, des maudits aux sacrifiés, nous assistons à un théâtre d’ombres où chacun hante l’autre, avec obsession.
La noirceur de l’âme
Jusqu’à le retrancher dans ses propres limites, sa propre folie, et par conséquent ses choix, son éthique.
Les prouesses technologiques au service du héros sont impuissantes face au Joker. Sauf celle qui va permettre d’écouter toutes les conversations téléphoniques des citoyens. Un Big Brother imparable où la vie privée n’existe plus. Dans le rôle du sage qui se rebelle contre son autorité, Morgan Freeman, qui y voit, à juste titre, une véritable boîte de Pandore. Pour certains, la fin justifie les moyens, pour d’autres il y a des valeurs auxquelles il ne faut pas toucher. De la même manière le film s’interroge sur la notion de justice, de vengeance, de sécurité, d’engagement, de confiance. Jusqu’à quel point le sacrifice a-t-il une valeur ?
C’est tout l’enjeu dramatique du final. Il n’oppose pas seulement Batman et le Joker. Il y a un jeu digne d’un reality show pas si irréaliste, mais très cynique : deux bateaux, le premier rempli de prisonniers, le second plein de citoyens électeurs, doivent prendre la responsabilité de détruire l’autre pour survivre…
Clairement, à l’image de cet épisode introspectif et intellectuel, Batman The Dark Knight gagne en profondeur psychologique et en tension dramatique. Plus besoin d’installer les personnages dans une histoire, nul nécessité de donner une perspective optimiste. Nous sommes dans une forme de réalité, une ère adulte où les questions sont attachées à la notion de démocratie, de justice, de contre-pouvoirs. The Dark Knight mène à une impasse, entre suicides et damnations. Il n’y a aucun happy end possible, ni amoureux, ni individuel. Batman est le super-héros qui subit son destin. Prêt à faire le sale boulot, seul, dans l’ombre, recevant les crachats de l’ingratitude plutôt que de se glorifier sous les flashs des photographes. Il encaisse, il endure. De cette éthique qui sert de frontière entre un bien et un mal qui se métamorphosent au gré des circonstances, la chauve-souris en sort cassée, isolé, paumé. Heureusement, le film est spectaculaire, et même parfois drôle (quelques dialogues ne manquent pas de panache), le script possède des décharges d’électricité qui « énergisent » le spectateur. Et Batman, on le parie, sera capable de prendre un nouvel envol vers son ultime destination : une forme de liberté.
Vincy
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