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DERANGE MECANIQUE
L’empreinte de l’ange est, comme son titre, indéfinissable. Film à suspens, on découvre, finalement, qu’il s’agit, en plus, d’une histoire vraie. Film autour d’une femme, qu’on croit presque folle, on s’aperçoit, en fait, qu’il s’agit d’un duel à retardement. Film sur un fait divers, on constate, enfin, qu’il se nourrit des tourments psychologiques, sans avoir besoin de dialectique (à l’exception de l’explication nécessaire mais un peu balourde).
Safy Nebbou laisse ainsi une étrange empreinte dans nos mémoires : celle d’un film qui nous a tenu de bout en bout par une tension inattendue et surtout, ne histoire qui interpelle, dérange même, tant elle touche aux fondamentaux des valeurs actuelles de nos civilisations « prospères ».
Car derrière les apparences d’un script pour téléfilm, il y a bien une œuvre cinématographique ambitieuse et construite. Bien sûr, la réalisation ne transcende pas tout le temps son sujet, et parfois le montage ralentit inutilement la mise en place des événements. Mais hormis ces quelques maladresses, le réalisateur a su créer une atmosphère cohérente grâce à quelques petits détails : un format cinémascope qui donne de l’ampleur, une maison qui peut servir de métaphore, entre transparence et forteresse, un scénario qui devient symétrique et transforme la folie d’une femme en une épreuve de vérité.
Tout est pensé : du décor aux ambiances, des codes sociaux à la première séquence de l’incendie, primordiale pour déclencher et comprendre l’état mental du personnage principal. Celui-ci est interprété par Catherine Frot.
Si l‘on avait encore un doute sur la richesse de son jeu, et sur sa capacité à porter un rôle complexe sur ses épaules, il suffirait de voir sa prestation en mère paumée, épouse séparée, femme esseulée, dépressive et hantée. Les pieds dans le réel, la tête dans le ciel. Frot peut nous faire croire à tout : sa folie nous la rend imprévisible, nous maintient sur les nerfs, la croyant capable de tout, du kidnapping au meurtre. Femme inquiétante, perturbée, qu’on aurait envie de consoler, de soigner, elle qui vend des médicaments à tout le monde mais qui ne sait pas se guérir.
Grâce à l’actrice, le réalisateur réussit à conserver l’aspect mystérieux qu’il installe dans le film dès les premières minutes. On devine rapidement les origines de son traumatisme, car c’est de là que tout démarre : la rencontre avec Bonnaire, comédienne humble et efficace qui aura su être simple durant les deux tiers du film, avant de dévoiler une rage contenue. Deux félines prêtes à tout, persuadées d’avoir raison, même dans la déraison. Le combat est verbal, physique, psychologique. Les deux femmes n’ont aucune certitude, tanguent et même vacillent, sous la force de l’autre. On croit l’une fragile, étouffante, suffocante, enfiévrée par ses délires.
On imagine l’autre solide, épanouie, sereine, enfermée dans ses certitudes. Frot s’égare et file à côté de sa vie quand Bonnaire assiste, spectatrice, à son bonheur, fictif. Mais le film, énigmatique, tout en émotion retenue, en trouble perceptible, en drame sous-jacent, pour ne pas dire en tragédie attendue, crée un malaise permanent, qui nous déstabilise, et qui aurait pu, encore davantage, nous fasciner. La musique appuie cette tension avec justesse.
La mise en scène est habile, proche d’un cauchemar éveillé et s’amuse, d’ailleurs, à confondre les rêves et la réalité, à rejoindre allégoriquement en une séquence la chasseresse et sa proie.
Du coup, la subtilité de l’ensemble est gâchée par cette dialectique explicative si convenue, presque grotesque, sans intérêt, assez fade . On attend trop ce « Vous êtes folle », ces « dingue », « malade », « tarée ». Trop facile. Trop rationnel pour cette illustration de l’intuition féminine, de l’instinct maternel.
On préférera donc garder à l’esprit le portrait de cette mère un peu irresponsable, cette absente, de sa vie comme d’elle-même, prisonnière de son passé, persuadée que la vérité est ailleurs. Dans les yeux de Lola, touchant petit ange.
vincy
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