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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Martyrs
France / 2008
03.09.2008
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PUISSE LA SOUFFRANCE NOUS DÉLIVRER DU MAL
"De nos jours il n’y a que des victimes. Tandis que les martyrs, ça, c’est autre chose !"
Auréolé d’une sulfureuse réputation grâce à la décision de la ministre de la Culture de l’interdire aux moins de 18 ans (ce qui en soi est souvent la meilleure publicité pour ce genre de films), interdiction ramenée par la suite aux moins de 16 ans, Martyrs voit enfin le jour, et il y a fort à parier que de nombreuses pupilles peineront à en croire leurs yeux. Car oui, annonçons le tout de go sans avoir peur d’effrayer le spectateur potentiel : Martyrs est une expérience unique, une pellicule marquée par le sceau de la folie avec un M majuscule tatoué sur le front pour signaler à quiconque s’en approcherait les risques d’auto combustion. Une sorte de purgatoire pour païens, sorciers, blasphémateurs, pourfendeurs des préceptes humains et barbares d’un autre âge. Ou tout simplement illumination d’un réalisateur touché par la grâce impie comme le fût en son temps Gilles de Rais.
Expliquer à quel point Martyrs est une expérience limite sans dévoiler le propos illuminé de l’histoire est une gageure impossible à relever. Car si vous croyiez avoir tout vu, si vous pensiez avoir été suffisamment sevré aux films d’horreur barrés, déviants, malsains, choquants, si l’extrême peut toujours trouver sa place dans un coin de votre cortex déjà bien endommagé, tout en sachant que ça n’arrangera pas les choses, alors que dire, si ce n’est que Martyrs est précieux, indomptable, et indéfendable. Mais au même titre que Funny games ou Salo et les 120 journées de Sodome : de toute façon ils n’ont pas besoin de l’être. Martyrs, en refusant toute explication, s’offre en plus le luxe de se donner en pâture à la masse humaine afin de se faire crucifier sur la place publique.
Certes, un peu de retenue serait la bienvenue. Il est si facile de s’extasier sur un film choc et tape à l’œil (Frontière(s) si tu m’entends), de multiplier les superlatifs afin de cerner un objet révulsif au premier abord tout en caressant cette répulsion attractive, ou bien encore de s’offusquer devant tant de violences dans cette histoire calibrée, à tort, pour les dérangés et les fanatiques. La critique est aisée, le cœur est sensible, et la raison se demande quelle peut être l’utilité d’un tel film. Et si justement la raison n’avait plus toute sa tête et perdait de son discernement ? Et si un film poussait jusqu’à la frontière indépassable de l’entendement humain son idéologie, que resterait-il à l’homme si ce n’est ses yeux pour pleurer ?
Sur un plan cinématographique force est de constater que Pascal Laugier a affiné sa mise en scène depuis Saint Ange. Le montage, en cut ou en fondu, et les mouvements de caméra, statiques ou virevoltants, collent au plus près aux différentes partitions du film, avant de fusionner pour amorcer l’osmose voulue par le réalisateur. Seul léger bémol, une surenchère gore affichée dans le premiers tiers du film qui aurait mérité un traitement plus en finesse avant de sombrer dans la folie la plus pure. Mais au regard du résultat final, cette maladresse s’efface sans peine, tant la maîtrise et l’acharnement jusqu’au-boutistes de Laugier pour parvenir à ses fins forcent le respect. Et plus l’histoire avance et plus l’on se demande avec effroi à quoi tout cela mènera.
Certains radicalismes font peur, d’autres ouvrent les yeux, et une minorité d’entre eux interroge par le biais d’une révélation le fondement de la barbarie humaine et de la Vérité. Quant à savoir où elle se trouve dans le film de Pascal Laugier, les arcanes de la psyché humaine n’en révéleront que la partie absolue, totale, noire et irréversible. Oui, les yeux pleurent, oui, le cœur est concassé dans un étau, et oui, la raison plonge dans son incapacité à raisonner sur ce qui est irraisonné.
Martyrs, un film qui porte bien son nom ? Peut être. Mais c’est surtout un bijou incandescent comme on en voit tous les vingt ans, une expérience à l’immersion périlleuse, sans possibilité de retour. Le vingtième siècle a eu Orange mécanique et Salo. Le vingt-et-unième siècle a dorénavant son Martyrs.
Denis
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