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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Cliente
France / 2008
01.10.2008
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PARLEZ-MOI DE L'ENVIE
« - Tu veux pas qu’on se mate Brokeback Mountain ?
- Oh non. Je l’ai déjà vu trois fois, c’est trop triste.»
Cliente laisse une impression étrange. Si l’on attendait un film sulfureux, provocateur, éventuellement graveleux, la déception sera immense car Josiane Balasko a réalisé une comédie de moeurs sensible, dramatique et drôlatique. Ce qui surprend le plus est bien entendu le soin apporté à la technique – photo, musique, … - faisant de Cliente le film le plus abouti de la réalisatrice depuis Gazon maudit. Alors certes, il n’a pas la jubilation et l’abattage de la comédie « trioliste » et bisexuelle, mais il en a la profondeur, dimension qui avait disparu de ses récentes œuvres. Elle y ajoute un point de vue féminin, plus sentimental, ce qui la distingue de films comme ceux de Blier. Mais Cliente nous séduit aussi par ses audaces stylistiques : le rap sur Patrice « qui bosse avec sa queue parce que ça rapporte plus », les voix off des personnages principaux, qui se font écho, et rendent le procédé vivant, moins classique, les intermèdes avec le télé achat, presque absurdes, des duels félins entre les deux femmes sous forme d’allégories, ou encore l’insertion de films vidéos familiaux où l’image joue les intrusives dans le mélo familial.
A cela s’ajoute une histoire classique, parfois un peu laborieuse, mais bien paquetée. Tournant autour de personnages solitaires – du régisseur gay à l’assistante naïve, de la soeur rêveuse à la mère abandonnée – aspirant tous à l’amour, envahis par leurs désirs. Ils subissent ainsi les conflits, les contradictions, la souffrance du couple, la douleur du célibat, … Cette vision pas très rose de la vie amoureuse en milieu urbain tempéré permet de démarquer le rôle principal. Incarné par une Nathalie Baye resplendissante, ce personnage de femme d’affaires, de médias, sexy et intelligente, est là pour séduire. Il fallait une belle comédienne pour que ce ne soit pas de l’ordre du pathétique. Il fallait aussi que cette femme, lucide, ait une motivation : elle en a bavé, elle a eu son compte d’histoires d’amour qui finissent mal et la laisse sur le carreau. Elle développe ainsi un sens de l’humour qui la met à distance des problèmes. « C’est très impoli de demander son âge à une femme de 51 ans. » Elle a passé justement l’âge de se laisser piétiner. La quête du plaisir, conjugué à une sexualité matérialiste, en fait le parfait prototype de l’occidentale individualiste et consumériste. Le sexe devient alors une case noircie dans un agenda, une activité compensatrice, salvatrice comme le shopping. Le fric s’invite partout : même dans une partie de jambes en l’air entre Caravaca et Carré, très appliquée, où on parle de factures et de traites.
Baye est ainsi une dure, une vraie, une (presque) tatouée. Ce côté mec est indispensable pour le rôle. Une bourge bien chaloupée, ça aide à avoir les mecs à ses talons. Vulnérable, friable, fragile, mais avec une carapace épaisse comme un tronc de Séquoia. L’inverse de sa sœur, la Balasko « herself », avec carrosserie blindée en apparence mais complètement caoutchouteuse quand on creuse.
Mais le véritable pari était bien le choix de Caravaca dans le rôle du « french gigolo ». Là aussi la réalisatrice a choisi un homme qui n’a rien du gigolo, comme la cliente n’a rien à voir avec la femme qui n’a pas d'autre choix que de payer pour avoir un moment de sensualité. Caravaca, non pas qu’il soit laid, loin de là, mais il n’a pas le profil type du jeune minet musclé sec ou du mâle viril protecteur. Il est un français moyen, charmeur, brun, loin du blondinet hâlé croqué, consommé par sa cliente. « Antoine ? Marrakech ? » « Sylvain. Eassouira. »
Caravaca n’est pas glamour ou exotique, il banalise la vision de la pute masculine. « -Une rose ? Vous faîtes ça à l’ancienne ? - Vous me plaisez. - Ca nous conduit où ? » Au Parking. Il a ce côté prolo qui excite la bourgeoise… Hormis, la panne sexuelle, tout est autorisé tant qu’il y a de la mise en scène… Le fric permet tout aussi, même d’être cynique ou injuste, connasse ou humiliante.
Au delà des chroniques, familiales ou féministes, Cliente est un drame social où les bonnes vannes et jolies répliques ne doivent pas maquiller l’aspect sordide et le fond de l’histoire. Carré, qui joue les juges piégés par la réalité, a raison quand elle dit que ce fric « pue le malheur ». Le prix à payer est cher. Tout le monde profite de ce fric, mais personne n’assume son origine. La morale est mise à rude épreuve. Surtout, il s’agit de savoir finalement comment sortir de sa condition, de cette banlieue, de cette précarité : honnêtement mais durement (le salon de coiffure), ou immoralement mais facilement (escort boy). Voilà désormais un marché, un flux monétaire entre les quartiers chics et les barres HLM, où le sexe a un tarif, où l’on redistribue les euros. Rien de caritatif. Juste une civilisation déchirée entre sa quête obsessionnelle de plaisir et de jeunesse et son aspiration à en avoir les moyens. Et qui finit le voyage en solitaire. La solitude des femmes est aussi leur force, là où se noue leur solidarité... Derrière cette histoire de dilemme moral, se cache un portrait de la mère abandonnée, de l'épouse trahie, de l'adolescente marginale, de la divorcée endurcie, de la femme rêveuse... Cliente est un film sur les femmes seules et les hommes vulnérables.
En ce sens, Balasko aurait peut être pu choquer avec un tel sujet, il y a quelques années. Mais nos esprits se sont ouverts, nos observations le constatent. Cliente est une comédie dramatique réaliste. Sage, lisse. Mais cruelle et tendre aussi.
vincy
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