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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Khamsa
France / 2008
08.10.2008
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BON OEIL
«- Le combat de coqs, c’est toujours mieux que de voler. »
Le nouveau Dridi est un film à géométrie variable. Sa vérité n’est pas livrée par effraction, elle se ramasse au détour d’un abandon, d’une révolte, d’un drame. Elle naît aussi de ce désir violent de porter une parole vers ceux qu’on oublie, qu’on écarte, qu’on marginalise. Habile, le cinéaste évite le ton voyeuriste et propose, au contraire, une histoire pudique au cœur d’un territoire vierge d’investigation. La démarche s’adapte, la mise en scène s’applique et le terrain conditionne. Pour retranscrire ces vérités, Karim Dridi n’utilise aucun artifice, ne stigmatise personne, ne prend pas vraiment parti mais ne s’adoube pas non plus. Sa vision, immersive, se pratique au détour de rencontres peu ordinaires quand elle n’illumine pas les interstices de vie de ce no man’s land de la république.
Situé en contrebas d’une rocade entourée par des barres HLM de l’agglomération marseillaise, le camp de gitans Mirabeau est ce territoire. Sa mise en représentation, aussi aérienne qu’elle peut être proche des corps, transforme l’amoncellement de caravanes et autres constructions de fortune en un terreau symbolique d’une France multiculturelle produisant toujours autant de ségrégation. Si le réalisme environnemental nourrit l’espace sociologique du film, l’arrivée de Marco produira un contrepoint fictionnel propre au romanesque souhaité par le cinéaste. Par cette intrusion désespérée, Karim Dridi trace une nervure narrative brillante en superposant des réalités et poétisant des conditions.
Marco fugue pour retrouver les siens. Né au camp Mirabeau, sa vie n’est pas dans un foyer d’accueil mais auprès de sa famille fut-elle décomposée. Son retour, qui peut être perçu comme une quête, est tout d’abord identitaire. L’affectif (relation au père), le charnel (amour immodéré pour la grand-mère) et l’amitié (son cousin Tony et compagnon de route Coyote) demeurent les trois dimensions essentielles pour ce jeune garçon en manque de repères. Fil conducteur d’une immersion singulière et touchante, ce gosse désocialisé rend compte d’un intime en construction dont la demande n’est jamais satisfaite. Il va vers les autres, se retrouve rejeté – par son père –, embarqué – par ses copains – et, d’une certaine façon, seul au milieu des siens. Cette relation au père (Simon Abkarian tout simplement impeccable) pourtant si chère aux yeux de Marco est un naufrage affectif en forme d’abandon. Le cinéaste scelle le désarroi d’un enfant livré à lui-même lorsque il reçoit les clés de la caravane d’un père sur le départ. Triste consolation, dure réalité. Laissé pour compte, victime froide de l’exclusion, Marco doit se forger un caractère par réaction et non par éducation. Sa plongée au cœur de la démerde entre vols à la tire, combats de coqs et cambriolage exprime la marginalité de ces gamins déjà adultes, broyés, perdus.
Karim Dridi filme en vase clos. Il concentre son attention sur le camp, ses habitudes, ses traditions, ses individus et sa pauvreté. Par certains côtés, Khamsa sonne comme un écho aux films de favelas, la violence visuelle en moins. Jamais il ne montre l’autre côté, ou très peu, comme pour dire que la société accepte, jusqu’à un certain point, de créer de la misère, de la frustration, de la haine et de la violence. Magnifiés par de longs plans séquence, ces gosses sont pourtant beaux dans ce décor lunaire. Marco, Coyote, Rachitique et Tony deviennent des héros à leur façon, dans le courage de la rébellion. En les suivant dans leurs virées hors du camp, Karim Dridi joue sur les contrastes et frappe un grand coup. Mieux, il affine son observation en marquant la différence de socialisation entre Rachitique – le compagnon de rapine d’origine maghrébine – et Marco. Si la vie de Rachitique n’est pas facile, celle de Marco ressemble à une errance solitaire d’un cœur abandonné. Locataire d’une identité vacillante, la double origine de Marco ne peut, dans ces conditions, être perçue comme une richesse. Fardeau provisoire ou handicap lourd à porter, ce gitan maghrébin synthétise les problématiques du cinéaste.
Dans un final poignant à plus d’un titre, le doute n’est plus permis. L’incapacité de notre société à prendre les problèmes à bras le corps sonne le glas d’une génération sacrifiée. Marco les représente dans sa tendresse morte. Lui qui veut devenir boulanger pour « être comme les autres », se retrouve à courir vers un destin incertain. Le vase se casse et la caméra, dans un dernier plan somptueux, libère ce cri d’alarme. Nous sommes prévenus.
geoffroy
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