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THE PRETENDER
« - C’est Fela Kuti, cous connaissez ?
- Non.»
Il est rare de voir un film d’apparence si simple, si humble, nous transporter vers des sentiments contradictoires, alliant bienveillance et colère. Tom McCarthy, avec une écriture précise et épurée, offre une histoire bouleversante, poignante, sans jamais se compromettre dans le pathos ou concéder un quelconque sensationnalisme.
The Visitor est une œuvre clairvoyante sur un intellectuel américain, plutôt de gauche, et qui s’est assoupi, et émoussé, au fil des ans. Il vit dans une bulle, fait semblant d’être (un professeur, un auteur, un citoyen). Il ne parvient pas à faire le deuil de son passé et cherche à le retrouver en apprenant à jouer (maladroitement) du piano, instrument qui lui sert de lien avec sa défunte femme, chanteuse. Du coup, ce professeur - un Richard Jenkins tout en équilibre - intransigeant renvoie un à un ses professeurs de musique. Ironique. Le script ne manque pas de ces contre-pieds subtils. Le « loser » désintéressé, solitaire et entêté, pour ne pas dire fumiste, égoïste et dévitalisé, va renaître de ses cendres grâce à une intrusion surgissant dans sa monotonie.
Comme dans son film précédent, le cinéaste insère un élément perturbateur dans la routine «soi-disant » harmonieuse imposée par la société. Le rapport à « l’étranger » était un nain dans The Station Agent, ici il s’agit d’un Syrien et d’une Sénégalaise, immigrés clandestins - sujet est central mais pas principal. Cela nécessite une ouverture à l’autre, voire une remise en question de son destin. La révélation interviendra avec un djembé. La musicothérapie par le classique ne donnait aucun signe de soin ? Les rythmes africains défoulent cet introverti. C’est aussi à cause d’un djembé que ses vies vont dérailler. The Visitor va lentement se métamorphoser.
Un couple va se déchirer malgré lui et un autre va se construire dans l’incertitude. Manhattan va laisser place au Bronx, où l’Amérique bourgeoise et tranquille va voir de plus près le système judiciaire et carcéral d’une civilisation désormais liberticide. On y traite les clandestins comme des terroristes, les citoyens comme des enfants. Le traumatisme du 11 septembre obscurcit peu à peu la tonalité chaleureuse du film. Le professeur, un brin condescendant, qui enseigne sur la croissance dans les pays émergent se confronte alors à la réalité de la pauvreté dans le tiers monde et de la responsabilité des pays riches.
Il n’y a aucun manichéisme. Entre désespérance et joli hasard, fatalité et détermination, impuissance et combattivité, les personnages, face aux murs sourds d’une Amérique égocentrique, évoluent, sans drame, avec justesse. Les comédiens, tous magnifiques, parviennent à incarner l’âme fragile de leurs rôles, extériorisant si bien la beauté intérieure qui les anime. Certes, il y a une dimension physique, proche de la transe, de la pulsion, avec, notamment, les sessions musicales. Les chairs se frôlent, au mieux, mais ils sont solidement ancrés dans un monde qui se dérobe sous leurs pieds. Ce film, vif et brillant, accepte son « intellectualisme » social, politique, humaniste.
Unité du corps et du cerveau qui font de The Visitor, une œuvre attentionnée, douce, mélodieuse et intime. Le tempo est maîtrisé. L’ennui inexistant. Progressivement, avec un pétage de plomb aussi logique que mémorable, le professeur se réveillera et regrettera sans doute de s’être laissé endormir si longtemps. Son pays a changé, son rêve américain n’existe plus. « On se croirait en Syrie » reproche la sublime Hiam Abbass. Il ne s’agit plus de faire semblant mais bien d’agir face aux réglementations absurdes, aux réactions surréalistes. McCarthy, avec calme, évoque un chaos refoulé. Tous coupables d’être innocents, résistants, "contestants".
Cela pourrait laisser un goût amer. Mais le film est habile. L’homme banal va finalement exprimer sa colère. L’amorce d’un espoir.
vincy
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