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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Les prédateurs (The Hunger) (The Hunger)
USA / 1983
13.07.1983
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PUR SANG
The Hunger - Les prédateurs en français - est l’adaptation d’un roman éponyme de Withley Strieber, un auteur de livres d’horreur plusieurs fois adapté au cinéma : Wolfen de Michael Wadleigh en 1982, Communion de Philippe Mora en 1989 et Le Jour d'après de Roland Emmerich en 2004.
Dans le récit littéraire, Sarah Roberts se suicide vraiment. Miriam Blaylock doit quitter New York car la police recherche les corps de ses nombreuses victimes.
Tony Scott, de sept ans le cadet de Ridley, découvre le 7eme Art à 16 ans en jouant dans le premier court-métrage de son grand frère, Boy and Bicycle. Les prédateurs est son premier long métrage. Quatre ans plus tard, il réalise Top gun, un succès planétaire. Se succède alors une série de films dont True romance en 1993 à partir d’un script de Quentin Tarantino. L’oeuvre la moins conventionnelle de Tony Scott à ce jour avec The hunger.
La qualité majeure des Prédateurs provient de son casting. Alchimie originale, inattendue, mais au final, impériale. Deneuve et Bowie campent des vampires aux allures de frère et de sœur. Quant aux personnages de Myriam et de Sarah, ils forment l’un des couples saphiques les plus troublants de l’histoire du cinéma.
Aux grandes faims les grands moyens
Catherine Deneuve est en 1983 une star en France, mais aussi aux Etats-Unis car les Américains la considèrent comme la plus belle femme du monde. Deux ans avant Les prédateurs, elle rencontre le plus gros succès de sa carrière avec Le dernier métro de François Truffaut pour lequel elle reçoit son premier César. Sublime image de la working girl indépendante chère aux eighties, elle est choisie suite à un sondage populaire pour représenter Marianne, le visage républicain de la France.
Avec Les prédateurs, Deneuve devient une icône non seulement gay (grâce à ses collaborations artistiques avec Jacques Demy, André Téchiné, Gabriel Aghion, François Ozon, Christophe Honoré et Gaël Morel…), mais également une égérie lesbienne.
Dès la sortie de Belle de jour, Bill Krohn le critique et historien de cinéma écrit : "Catherine Deneuve signe son style : un visage d’ange et une libido du diable".
Elle confie au magazine Idol en 1995 à propos de son personnage de mort vivant :
"Quand le film est sorti, je pouvais sentir dans les interviews que les femmes ne le voyaient pas de cette façon. Elles ne me considéraient pas comme un vampire. J'étais devenue un symbole pour les lesbiennes."
L’actrice signe et persiste dans cette ligne subversive. Elle embrasse et est embrassée par plusieurs femmes dans sa carrière : Geneviève Page dans Belle de Jour de Luis Bunuel, Anne Parillaud dans Ecoute voir d’Hugo Santiago, Danielle Darrieux et Laurence Côte dans deux œuvres d’André Téchiné : Le lieu du crime et Les voleurs, Hélène Fillières dans Au plus près du paradis de Tonie Marshall et Fanny Ardant dans 8 femmes de François Ozon.
Le rayonnement cinématographique du mythe Deneuve est dû en partie à son ambivalence masculin-féminin. Alchimie des plus grandes stars comme Greta Garbo, Marlène Dietrich, Bette Davis ou Katharine Hepburn. Sous son enveloppe très féminine, les mouvements corporels et les intentions de jeu de la grande Catherine sont empreints de virilité. Peut-être est-ce pour cela que Gérard Depardieu a dit d’elle : "Elle est l’homme que je voudrais être." ?...
Susan Sarandon est révélée en 1975 dans The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman, une comédie musicale gothique. Lors du tournage des Prédateurs, elle est une actrice discrète au box office remarquée dans deux films de Louis Malle alors son compagnon : La Petite avec Brooke Shields et Atlantic City avec Burt Lancaster. Il lui faut attendre 1987 pour que sa carrière s’envole avec Les Sorcières d'Eastwick de Gorges Miller où elle donne la réplique à Jack Nicholson, Michelle Pfeiffer et Cher.
1983 est une année faste pour David Bowie car il surfe sur le succès mondial de l’album Let’s dance. Il arbore un look de dandy anglo-germanique avec ses costumes croisés et ses cheveux blond aryens. Le roi David tourne deux longs métrages cette année-là, Les prédateurs et Furyo de Nagisa Oshima avec la pop star japonaise Ryuichy Sakamoto.
Tony Scott choisit la costumière Milena Canonero qui, depuis les années 1970, s’illustre entre autres dans Out of Africa de Sydney Pollack, Cotton Club de Francis Ford Coppola, Midnight Express d’Alan Parker, Solaris de Steven Soderberg.
Elle obtient trois Oscars pour Barry Lyndon de Stanley Kubrick en 1975, Les Chariots de feu de Hugh Hudson en 1981 et Marie Antoinette de Sofia Coppola en 2007.
Pour habiller la déesse Deneuve, Canonero la papesse du costume se tourne naturellement vers le couturier qui a donné le pouvoir aux femmes : Yves Saint Laurent.
Entre Deneuve et Saint Laurent, c’est une longue histoire d’amour. Muse et mannequin, la star ne cesse d’être l’ambassadrice de ses créations où se reflète à merveille l'ambiguïté de son mystère.
En créant ses costumes pour Belle de Jour, Yves Saint Laurent entre dans l’histoire du 7eme Art, mariant le chic et le pervers, habillant la femme "beauvoirienne" par excellence, entre émancipation et soumission.
Il dessine les tenues de Catherine Deneuve dans La Chamade d’Alain Cavalier, La Sirène du Mississipi de François Truffaut, Liza de Marco Ferreri, Un flic de Jean-Pierre Melville...
Pour les prothèses de vieillissement, Tony Scott fait appel à Dick Smith surnommé “Le parrain des effets spéciaux“. Cet artiste rend Dustin Hoffman centenaire dans Little Big Man d’Arthur Penn, fait tourner la tête de Linda Blair dans L'exorciste de William Friedkin et pulvérise les crânes dans Scanners de David Cronenberg.
Fort de ses multiples talents, Les prédateurs se veut chic et glamour comme Deneuve, rock et gothique comme Bowie, sensuel et sexy comme Sarandon. Malgré tous ses atouts, le film essuie un échec commercial.
Il sort en juillet 1983, après une présentation hors compétition au Festival de Cannes. Bowie n’assiste pas à la projection. Pourtant, il est sur la Croisette où il concourt avec Furyo.
Catherine Deneuve gravit les marches avec Serge Gainsbourg qui défend le film Equateur. Le festival vient d’inaugurer son nouveau palais, mais ses escaliers sont trop exigus par rapport à la taille du bâtiment. L’accession à la salle vire au cauchemar. Dans cette bousculade avec évanouissements, la femme du producteur est victime d’un malaise.
Fashion victimes
Qu’est-ce qu’un film culte ? C’est une œuvre qui s’inscrit dans son époque. Elle correspond de façon plus ou moins souterraine aux mutations et aux aspirations de la société. Les prédateurs devient culte pour deux raisons : l’une obscure et l’autre lumineuse.
- La raison obscure s’avère encore plus effrayante que le film car, en 1983, un mal étrange décime la communauté homosexuelle. Cette année-là, il est nommé officiellement le SIDA. Dans ce contexte, la scène d’amour entre Deneuve et Sarandon ponctuée d’inserts de sang vu au microscope, prend un sens terrible de contamination.
La partie du film où, à l’hôpital, Bowie dépérit de façon foudroyante n’est pas sans rappeler les malades d’alors. L’effarement et l’impuissance de la médecine peuvent tout à fait se traduire par la stupeur du docteur Sarah Roberts.
- La raison lumineuse vient du mouvement homosexuel féminin qui plébiscite cette oeuvre comme un film honorable à sa cause. Jusqu’alors l’image de la lesbienne renvoyée par le cinéma est celle d’une névrosée, refoulant ses tentations et mourant souvent dans des conditions atroces.
En 1936, dans La fille de Dracula de Lambert Hillyer, Gloria Holden combat à la fois son statut de vampire et ses penchants homosexuels.
En 1940, dans Rebecca de Alfred Hitchcock, Judith Anderson campe une gouvernante fétichiste qui caresse les sous-vêtements de sa maîtresse défunte. Elle périt dans les flammes comme une sorcière.
Même si Deneuve incarne un vampire, donc une déviante, son personnage est sentimental car il ne peut vivre seul. Seul l’amour peut soulager sa condition solitaire d'immortelle. Sa séduction est renforcée par son histoire d’amour très charnelle avec Susan Sarandon. Les costumes du film traduisent la psychologie des héroïnes :
- Lors de leur rencontre, Catherine Deneuve, à la fois dans la vie et dans la mort, est vêtue de noir et de blanc à l’exception de ses lèvres maquillées rouge sang.
Son chapeau à voilette, son manteau de style 1940 et sa broche représentant une salamandre, défient les lois du temps. Dans l'Antiquité, le philosophe et naturaliste Pline l’Ancien décrit la salamandre comme "un animal si froid que rien qu'à toucher le feu, il l'éteint comme le ferait de la glace.".
Pour le rôle de Miriam, Scott joue avec l’image très "papier glacé Saint-Laurent" de Deneuve. Sa beauté classique prend ici valeur d’immortalité. Sarandon, cheveux courts et tailleur masculin, est au contraire bien ancrée dans le XXe siècle.
- Un montage parallèle montre l’innamoramento, c’est-à-dire l’amour naissant entre les deux femmes. Miriam ressemble à une araignée. Veuve noire, elle pleure son mari décharné, mais attire aussi le Docteur Roberts dans sa toile vampirique symbolisée par son voile de tulle.
Face à elle, Sarah est ensommeillée, nue, sans défense face au pouvoir du mort vivant. Pourtant, sa larme montre qu’elle éprouve inconsciemment des sentiments pour Miriam.
- Dans la séquence de la séduction - incroyablement téléchargée sur internet - Deneuve porte une robe noire et les pendentifs accrochés à ses oreilles ont l’air d’ailes de chauve-souris repliées.
Reptilienne, elle hypnotise Sarandon avec de la musique, Le Lakmé de Léo Delibes interprété par deux femmes. Avec aussi du Xéres qui se transforme en gouttes de sang sur les seins de Sarah Roberts.
La particularité du Xérès réside dans son vieillissement obtenu selon un système d’assemblage délicat. Les vins jeunes s’allient aux vins plus âgés et les réveillent. L’assemblage final comporte toujours une forte proportion de vins anciens. Formidable métaphore de l’union vampirique de Miriam et de Sarah.
Dans cette séquence, Miriam porte une robe et Sarah un costume d’homme. C'est pourtant Deneuve qui séduit selon l’archétype masculin et Sarandon qui joue les effarouchées. Cette opposition entre le fond et la forme jette le trouble, envoûte à son tour le spectateur.
À la fin du film, quand Sarah devient un vampire, elle choisit l’homosexualité ce qui fait des Prédateurs un film lesbien triomphant. Par conséquent, une œuvre culte.
Queer as punk
Les prédateurs propose en guise de mise en scène une stylisation clipesque à décoder.
Pendant le générique d’ouverture, le groupe post-punk Bauhaus et son chanteur Peter Murphy qui revendique une filiation glam rock avec David Bowie, interprètent l’un de leurs plus grands succès : Bela Lugosi’s dead.
Pendant sa prestation, le chanteur stylise la seule chauve-souris du film en relevant les pans de sa veste. Si sa chanson rend hommage à Bela Lugosi, l’interprète de Dracula, elle proclame aussi sa mort. Renvoie aux oubliettes l’attirail cinématographique du vampire : les gousses d’ail, le pieu, le crucifix, les crocs qui s’allongent…
Comme le montre les plans de l’aube sur New York, les vampires vivent désormais le jour et la nuit. Ils tranchent la gorge de leurs victimes à l’aide d’un bijou égyptien : un Ankh, symbole de longévité.
Pendant l’ouverture du film, les plans de différentes séquences s’enchevêtrent et chamboulent la narration du récit. Cet amalgame, à l’image des vampires, bouleverse les lois du temps :
- Dans l’antre de Miriam, le temps semble suspendu. Il est pourtant loin d’être serein comme le traduit la bande son du film composée par Michel Rubini et Jenny Jaeger. Nappes de synthé sourdes ponctuées de sons stridents qui évoquent le verre rayé ou brisé. Mélancolie latente de Miriam. Gémissements de sa soif de sang.
- Dans le monde des vivants, une mise en scène frénétique traduit la fragilité et la fébrilité de la vie humaine. Bref et brutal laps de temps accordé à un être sur terre.
À partir du générique, quasiment tous les plans sont striés de lignes horizontales et verticales.
Au temps horizontal, profane, zodiacal ou grégorien, inventé par les hommes, s’oppose le temps vertical, cyclique et poétique. Sa notion traitant de l’incubation et de la réalisation artistique s’apparente à la perfection au mythe du vampire.
Ces traits évoquent le contraste entre l’ombre et la lumière, le monde des morts et celui des vivants. Rayures stylisées, magnifiées par le travail de Stephen Goldblatt, le chef opérateur de Cotton club de Francis Ford Coppola ou encore de Batman forever de Tim Burton. Cet orfèvre de la photographie est nommé aux Oscars en 1995 pour Le prince des marées de et avec Barbra Streisand.
Les rayures signifient aussi la division, la coupure de l’Ankh qui tranche les gorges. Les prédateurs est une oeuvre qui traite de la séparation sentimentale inexorable. Un film profondément pessimiste où chaque protagoniste termine un cycle d’existence sans être satisfait de sa métamorphose. John refuse la décrépitude. Sarah, la vampirisation. Elle tente alors de suicider. En vain. Dans sa rébellion, elle condamne Miriam aux ténèbres.
Son échec est condensé en un seul plan. Celui où Sarandon fait face au cadavre mutilé du singe cobaye. En contre champ, elle est regardée par l’animal décédé, donc par la mort. Cet angle de la caméra l’enferme à son tour derrière les barreaux de la cage. Le spectateur sait intuitivement que Sarah deviendra, malgré elle, un vampire.
Au final, le grillage qui protège le cercueil de Miriam rappelle celui où s’accroche Peter Murphy dès l’ouverture du film. Dans Les prédateurs, quand le temps horizontal rencontre le temps vertical, il se transforme en grille. Et l’immortalité du vampire tant convoitée devient alors une geôle éternelle où règne la solitude et l’isolement.
Malgré une mise en scène trop clipesque, quelques incohérences scénaristiques et une fin qui sacrifie à l’hémoglobine, The hunger est devenu au fil du temps un film culte du cinéma fantastique, une référence artistique absolue pour les communautés gay, lesbienne, rock et gothique.
benoit
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