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LE CŒUR A SES RAISONS
«- Le concept de liberté est absolu… »
The Duchess n’est pas forcément un film classique, malgré son époque, sa lumière, ses costumes, son allure. Même le choix de la comédienne – Keira Knightley, dont le jeu ne manque pas de reliefs malré une poitrine très plate – nous renvoie à d’inombrables productions similaires de ces dernières années. Ici point de Jane Austen, mais l’esprit y est. Une femme rebelle et féministe, bien avant l’heure. Le corsetage des traditions incarné par un homme puissant et suivie par une famille arriviste. Un amant caché, forcément passionnel, charnel, sexuel.
Cette impression de « déjà vu » contraint le film à dépasser les Jane et autres Orgueil et préjugés. Or, jamais The Duchess ne les égale dans la souffrance individuelle, le lyrisme romantique ou la frustration de la fatalité. Le scénario, hélas, est rapidement ennuyeux, avec quelques baisses scènes sans aspérités, notamment celles sur le contexte politique. La musique, omniprésente, plombante et académique de Rachel Portman n’arrange rien. Le montage parfois trop serré, ne laisse même pas le temps d’installer une émotion. Et ne parlons pas de ces séquences par temps grisâtres ou pluvieux quand notre protagoniste déprime. De telles facilités rendent le film plus « hollywoodien » (simpliste) que britannique.
Cependant, ce drame conjugal ne manque pas de qualités. Saul Dibb s’attache aux détails. Ceux du corps, où l’on voit même la peau imprimée par les lacets du corset. Mais aussi ceux de l’âme, tourmentée, remuée, violentée. Les acteurs n’y sont pas étrangers, grâce à un jeu nuancé et juste, jamais clinquant. Ce trio maudit (l’époux outragé, la femme délaissée et l’amante insatisfaite), malédiction mal exploitée, trop superficiellement coexiste tel une famille recomposée avec l’illégitime en son sein.
Un film qui s'attache trop à la tradition cinématographique
Au milieu de ces compromis, entre pouvoir et trahisons, c’est bien l’emprise, entre domination et soumission, qui soutien l’ensemble de l’histoire et nous fait tenir jusqu’au bout. Cela donnera d’ailleurs la seule scène sublime du film, la finale, où l’un se résigne à son destin et l’autre tente de panser les plaies. Entre l’idéaliste et l’abjecte (Fiennes, parfait « as usual »), il y avait matière à faire un film sans doute plus âpre, moins chic. Les duels ici ne se font pas à l’épée, mais à table ou au lit. Cela aurait mérité un traitement plus singulier et moins académique, ou une vision plus baroque, un cinéma plus métissé.
Car cette Duchesse est une belle héroïne de cinéma. Bien sûr, il se dessine en creux un portrait d’une Princesse, Lady Di. Pareillement effrontée, impératrice de la mode, féministe, activiste, la duchesse fait écho à notre histoire récente, la Mercedes du pont de l’Alma en moins. Entre dilemmes et cause perdue, le personnage évoque une condition féminine difficilement conciliable avec les enjeux des mâles. Un fossé entre les sexes. Une femme blessée, humiliée, martyrisée par les arrangements cyniques. Une femme transformée en mère porteuse. On en vient à s’interroger, justement, sur le corps comme marchandise, sujet si contemporain.
The Duchess est un beau film illustratif sur un personnage qu’il faut sûrement mieux découvrir dans l’autobiographique littéraire qui lui sert de matériau d’origine. Saul Dibb aurait peut être du s’extraire de l’Histoire. L’histoire qui nous captivait était portée sur cette aspiration à la liberté. Ces prisonniers – lui des convenances, elle du contrat de mariage – n’attendaient que leur évasion, et la nôtre.
vincy
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