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QUIZZ SHOW
«- Que veux-tu qu’il sache ce pouilleux des bidonvilles ?»
Si Danny Boyle apparaît souvent comme un cinéaste irrégulier, plus proche de Ridley Scott que de Stephen Frears, convenons qu’il a un style. Ses films sont toujours des mix de littérature, musique et images percutantes qui dessinent le destin d’un personnage, en quête de sa voie, quitte à rompre avec son passé et la fatalité. Slumdog Millionaire s’inscrit dans cette veine, qui, de Trainspotting à Millions en passant par La plage, suit un jeune homme au moment où sa vie bascule et se confronte à un univers étranger.
Boyle le filme à sa manière. Avec un découpage morcellé, un montage frénétique. Mais il insuffle la respiration nécessaire pour que chaque petite histoire prenne son temps, installe le contexte et l’enjeu. Du coup, Slumdog Millionaire, loin d’être un patchowrk artificiel, s’avère une oeuvre fluide, captivante, divetissante, émouvante. Une histoire de coup de foudre, et pas seulement à l’écran, puisque le spectateur est aussi touché.
A la question : ce film est-il un coup de cœur ? un excellent divertissement dépaysant ? un film d’auteur talentueux ? une œuvre riche qu’on peut revoir indéfiniment ? La réponse est : au choix. Tout à la fois.
Une fable fabuleuse
Boyle n’a jamais paru aussi à l’aise avec les différentes couches d’un script, les reliant les unes aux autres avec facilité, tout en n’amenuisant jamais la profondeur de chacune. Ainsi il tisse le portrait d’une Inde toute en contrastes, dans toutes ses frasques, de la corruption à la torture, de l’extrême pauvreté aux petites arnaques, du culte des stars bollywoodiennes aux petits jobs à l’occidentale. De la guerre des religions à l’incompétence des adminstrations, des touristes natis aux as du pickpockets, du Taj Mahal aux quartiers chauds de Mumbay, tout y passe. La megalopole indienne est représentée de manière presque fantasmagorique : visions hallucinantes d’une ville jungle, avec ses déchets, ses labyrinthes de rues invisibles du ciel… Tout se marchande, de l’accès aux chiottes en plein air à un rein ou des yeux. Petites combines pour gagner des roupies. Misère des orphelins bosseurs, des mendiants débrouillards. Exploitation cruelle, atroce, des gosses de la rue. Rien ne nous est épargné. Le film n’esquive aucune humiliation, démontre sans forcer le poids des castes, des clans, des classes sociales. Le mépris des parvenus pour les pouilleux. Mais nous sommes dans une fable, un conte de fée (et de faits), et tout ne se monnaye pas. L’amour et les rêves restent des « produits » immatériels. «- On vivrait de quoi ? - D’amour.»
Un scénario de bonne foi
En réécrivant complètement le livre de Vikas Swapur, Simon Beaufoy a construit une narration propre au cinéma. Les scènes romanesques, d’aventure, de dérision ou même de tragédie s’alternent au point d’en faire un script ludique, intelligent, intense, jamais pathétique. Un thriller où la vie d’un jeune homme défile, car elle est l’enjeu d’un jeu télévisé. On suit ainsi son enfance, son adolescence, ses survies, son environnement sordide, ici rendu plutôt joyeux et coloré comme un clin d’œil aux productions cinématographiques indiennes. Beaufoy y a mélangé d’autres ingrédients pour rendre Slumdog plus dense, plus dramatique. Au del àde cette aspiration à une vie meilleure, de cette envie de fric, il a inséré des trahisons, toujours propices aux rebondissements et aux dilemmes moraux. Le cinéma de Boyle aime ce fil tendu entre les étapes de l’initiation d’un individu, où la part de hasard se dispute avec celle de l’opportunité. Il installe alors un compte à rebours. Ce calendrier rythme le suspens, accentué par la dramatisation du jeu « Qui veut gagner des millions ? » et le cadre d’une garde à vue.
Le film scotche le spectateur, l’épatant ou l’étonnant, selon. Slumdog s’envole, file à toute vitesse, aidé par une musique endiablée et d’ores et déjà mémorable. Boyle, avec son style, s’approprie une histoire qui à ses antipodes. Il réalise un film moderne, fracassant, formatant son époque plus qu’il n’est formaté par elle. Trépident et emballant, le montage colle des morceaux hétérogènes pour en faire une œuvre homogène et contemporaine, loin des modes éphémères.
Les effets visuels sont aussi sensoriels. Avec une couleur particulière, foisonnant mais cohérent, le film ne réinvente pas l’esthétique, mais fait le lien entre une Inde fantasmée (bleu canard et dorée), proche des nocturnes littéraires et des darjeelings poétiques, et un continent réaliste, pas loin du cinéma de Mira Nair.
Un bazar bizarre
Son talent ne réside pas seulement sur une histoire qui suscite l’empathie ou une mise en scène qui séduit. Il y a un véritable sens du casting. Des gamins des bidonvilles aux adulescents déniaisés et abimés, tout cela « est bizarrement plausible ». A chaque fois, les comédiens, peu importe la génération, incarnent l’évolution même du personnage. Les deux frères illustrent d’ailleurs très bien les dérives de l’Inde. Salim, le frère sombre, mais pas fondamentalement mauvais, virera voyou, violent et religieux. Tandis que Jamal, le pur mais aussi le dur, est honnête et pragmatique. Chacun survit à sa fçon, avec la quête d’un idéal différent. Dev Patel, Jamal adulte, est une révélation tant il joue l’humilité et la détermination avec justesse. Tous ces esclaves, il faut rajouter la belle Lakita, nés d’un manque de repère, rechechent un futur durable et payant, à défaut d’être libres. Cette aliénation, ce fatalisme si oriental, est d’autant plus marquant que le cinéaste ne pose jamais un point de vue occidental ou un jugement extérieur, « touristique ». Il s’intègre à l’Inde, à ses personnages, et universalise son propos. Une méthode qui lui permet de montrer le pays sous un angle plus actuel, et de digérer la « pop culture », mondialisée.
Slumdog Millionaire permet donc de jouer avec nos nerfs, nos neurones et nos désirs d’évasion. Avec un jeu télé qui auemnte la tension crescendo et un imbroglio qui met la vie de nos héros en péril, le scénario entre flash backs et énigmes, s’offrira un final bollywoodien et musical. Même si la dernière question se révélera moins dramatique pour le public français (la réponse est liée à un de nos classiques littéraires), le film répond surtout à la première des interrogations : c’est un chanceux, un tricheur, un genie ou c’est ecrit ?
En Inde, la devise est « seule la verite triomphe ». Loin du cinéma vérité, ce cinéma passionné ne rend pas riche en millions mais en émotions.
vincy
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