Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Les Noces Rebelles (Revolutionary Road)


USA / 2008

21.01.2009
 



REVE-REVOLU-REVOLUTIONARY ROAD





« - tout le monde voit le vide mais il faut beaucoup de force pour voir que c’est sans espoir »

La guerre des Wheeler
Adapté d’un roman de Richard Yates, Revolutionary Road (La fenêtre panoramique en France), le film Les Noces rebelles met en scène un couple pas comme les autres. Par les thématiques abordées (l’idée du mariage, la place de la femme mais aussi celle de l’homme, la vision de la famille…), le film devient incroyablement atemporel tout en restant fortement ancré dans les années 50.
Onze ans après Titanic de James Cameron, le couple mythique Leonardo DiCaprio / Kate Winslet est une nouvelle fois réuni à l’écran, par Sam Mendes. Plus mûrs physiquement, leur talent est aussi plus affirmé, sachant manier les nuances, du battement de cil imperceptible à la frustration contenue.
Le couple est ici plongé en plein cœur du rêve américain et une vision « idéaliste » du mariage en toile de fond. April et Frank vivent tranquillement dans une petite maison en banlieue avec leurs deux enfants. Ces bambins sont d'ailleurs quasiment inexistants, encombrants, délaissés. Elle est actrice à ses heures perdues et femme au foyer à plein temps tandis que lui gagne sa vie sans grand enthousiasme là où travaillait son propre père. Mais un jour, comme se réveillant d’un mauvais rêve, April ouvre les yeux et réalise qu’ils ont laissé filer leur vie entre leurs mains. Des opportunités qui n’ont pas été saisies, émerge leur médiocrité. Derrière leur fenêtre panoramique, faussement transparente, la descente aux enfers des fameux et très sympathiques Mr et Mme Wheeler peut alors prendre place, entre assurances contre la mort et dévastation destructrice.

Derrière les masques
Tout comme dans son premier long métrage, American Beauty, Sam Mendes ne se contente pas de s’immiscer dans la vie apparemment paisible de la banlieue américaine de ces années-là, il croque, une fois encore, le couple et ses démons, distillant un venin acide et amer qui empoisonne l’existence, et désagrège le conformisme soi disant rassurant, et en fait démentiel. Malgré l’apparent bonheur du couple, Sam Mendes montre dès les premières images que celui-ci n’est qu’une façade. Dans le premier plan à l'intérieur de la maison, Mendès filme discrètement un canapé qui sert de lit au mari... Tout est affaire de détails. Il plonge son duo dans l'intime, dévoilant chacune des facettes, dans l'ombre ou la lumière, de ces sentiments ambivalents, entre adultère libérateur et folie de tout larguer.
Car, April et Frank ne s’aiment pas véritablement mais sont, en revanche amoureux de ce qu’ils pourraient être, ou même selon eux, de ce qu’ils devraient être. Loin des conventions et du matérialisme dans lesquels ils se sont enfermés, leurs aspirations de jeunesse n’auraient en aucun cas dû les mener dans cette impasse. Ils réalisent qu’ils ont fait des concessions, sont rentrés dans des cases où avoir des enfants, une famille, c’est avoir une vie bien propre, bien rangée, sans rien qui ne dépasse. Mais April aspire à tout autre chose se mettant en tête de réaliser un fantasme afin de sauver son couple, ou elle-même : tout laisser derrière soi pour aller vivre à Paris. Hélas, qu’ils le veuillent ou non, la norme dont il n’est pas si facile de s’affranchir les entoure et pèse de tout son poids sur leur foyer. Il y a ceux qui veulent qu’on se taise pour réfléchir et ceux qui baissent le son pour être tranquilles. Chacun va alors découvrir les limites de l’autre et derrière les apparences, les masques tombent et les personnages se mettent à nu.

Véritable tourbillon d’émotions (« Je ne peux pas partir, je ne peux pas rester, je ne sers à rien… »), Kate Winslet (se retrouve coincée entre une vie trop étriquée qui ne lui convient pas et un rêve absolu qu’elle n’arrive pas à atteindre. Les Noces rebelles met alors en avant le difficile et fragile équilibre de ce château de cartes que construit un mariage, où deux individus doivent trouver leur place entre les visions idéalistes de leur jeunesse et la réalité qui, trop vite, les rattrape. La vocation versus l’aliénation.
En plus d’observer ce couple qui s’effrite, Sam Mendes se penche également sur cette société destructrice, broyeuse de destins et de désirs. Ceux qui l’entourent, les mauvaises langues (l’agent immobilier), les jaloux (les voisins) qui ne l’avoueront jamais, ni aux autres ni à eux-mêmes, et les lucides qui comprennent (John le fou, dans deux numéros extraordinaires de Michael Shannon). C’est lui qui, finalement, cerne le mieux le couple Wheeler. Il comprend profondément April et déniche les cachettes et secrets intimes de Frank. Il est en réalité la figure se rapprochant le plus de ce à quoi ils aspirent. Considéré comme fou par ceux qui le côtoient, il est le plus libre d’entre tous, celui qui ne se conforme pas, qui ne se trahit pas. Il est la déraison nécessaire qui n’a rien à voir avec la puérilité mais bien avec l’anormalité. Il est un révélateur puissant, qui provoque les colères, les drames, et agit comme un terrible miroir aux vérités et non dits. Ainsi, le moindre second rôle a une importance plus que symbolique. Le mari de Kathy Bates, pourtant effacé durant tout le film, aura le privilège de réaliser un geste qui veut tout dire, tuant ainsi tout espoir d’un amour long et heureux. Un des plus beaux épilogues de cinéma.

American Ugly
Le réalisateur, théâtralement, met beaucoup de temps à installer l’histoire, à planter le décor et à dresser le contexte. Le début est long et lent, parfois fade avec une sensation de fausseté dans les émotions. Comme si les personnages étaient les pantins de leur propre vie, ce cet embourgeoisement qui les piège. Mais peu à peu la violence des sentiments explose. Les personnages s’affinent, s’affirment et l’histoire, tout comme eux, gagne en substance. Les sentiments se dévoilent et atteignent enfin le spectateur qui se sent attrapé par l’histoire. La véritable mécanique du couple se met en place et en branle et chaque personnage gagne en épaisseur et en complexité. Notamment, celui de Kate Winslet, de plus en plus intéressant, qui développe l’emprisonnement, l’étouffement qu’elle subit. Elle erre, marche tel un funambule sur le fil de sa vie… puis tombe et s’effondre. Les antagonistes qui semblaient sans saveur au début prennent peu à peu de piquant et de substance. Quelque peu bridé par une mise en scène très classique, le film s’appuie alors essentiellement sur ses deux personnages principaux qui donnent petit à petit corps au film. La fatalité se confronte à la révolte, l’envie, le rêve se soumet, abattu, à la réalité. Aidé par deux comédiens au sommet de leur jeu, en creux et en troubles, le cinéaste donne alors corps à cette violence verbale, cette virulence mentale.

Loin de la seule satire sur le milieu de l’entreprise, façon Dilbert, le cinéaste dessine le portrait d’une civilisation écrasant toute aspiration individuelle, et donc toute liberté. Derrière toutes ces apparences et ces faux-semblants, la vérité, même dissimulée, trouve toujours une belle place chez Sam Mendes, que ce soit sous les traits d’un amour secret longtemps tu ou d’une image terrible qui, à elle seule, résume toute la solitude et la souffrance du personnage d’April. Comme si elle découvrait que son rêve amoureux n'était qu'un mirage, une imagerie virtuelle, un fantasme.
De cet amour brisé sur l’autel de l’idéalisme, avec la force du pragmatisme, il en sort un film fort et subtil qui, malgré un commencement quelque peu terne, gagne de la couleur grâce à ses personnages qui évoluent au fil de l’histoire devenant ainsi l’essence même de ces noces rebelles. Désillusionnées et désenchantées.
 
Morgane

 
 
 
 

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