Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Un lac


France / 2008

18.03.2009
 



DE LA NATURE DE L’HOMME





«Tu es ma sœur. Moi, je suis ton frère. »

De violents coups de hache dans une forêt enneigée, une bande son atone, le souffle fiévreux du fils. Des gros plans, difficilement lisibles. Mais instantanés, brutaux. Comme une nature sauvage n’épargnant rien aux quelques habitants osant l’affronter. Puis une marche ardue dans de la poudreuse montant jusqu’au genoux. Et une crise d’épilepsie, pauvre corps spasmodique s’agitant vainement dans le paysage immaculé. Et enfin un peu de calme et de réconfort dans les bras d’une sœur. Et d’une mère. Peut-être d’une famille…
Un lac est un film de l’épure, voire de l’abstraction. Epure de l’image, des corps, du mouvement, du son. Abstraction de l’amour, de l’homme, de l’étranger, de l’existence. Une aventure en quelques sorte ouverte sur l’infini aveuglement propulsant l’homme dans ce qu’il a de plus cher : sa vie et sa survie.

Philippe Grandrieux est un cinéaste du sensible et de l’effleurement perceptif. Ceux qui ont vu ses précédents films peuvent en témoigner : ses images vont au-delà de ce que l’œil peut voir afin de lui faire entrapercevoir ce dont le cinéma est capable : la suggestion de l’immanent, la matérialisation du flux, la captation du fantôme de l’image. Rien de moins que d’utiliser le médium cinéma pour toucher au plus profond de l’être et au fondement de l’image-matière. Le monde cinématographique lui fit alors deux reproches qui n’en sont qu’un seul : son désir de mêler un cinéma semi-narratif avec l’expérimentation visuelle. Reproche d’ailleurs accentué par la thématique et la radicalité de ses sujets : une histoire d’amour entre un tueur en série et une vierge dans Sombre, et le commerce de la femme dans un bordel situé à Sofia dans La vie nouvelle. Deux films, deux expériences limites, où les tripes et le regard sont mis à mal, et où le réalisateur donne à voir sa maestria de l’image et du son. Sa réputation en ces deux domaines dès lors n’est plus à faire. Le cinéma est une symphonie chaotique et absolue, et Grandrieux en est le chef d’orchestre poursuivant inlassablement sa mélodie synesthésique.

Que ses détracteurs soient rassurés, son nouveau film est tout aussi radical que ses précédents, mais à une différence près : sa sagesse. Il émane d’Un lac un calme jusqu’à alors inconnu dans l’œuvre du cinéaste. Aucune violence physique, si ce n’est la maladie du frère ou l’abattage des arbres, aucune pulsion dévastatrice, si ce n’est celle de l’amour familial entre des membres quasi muets mais tout aussi éloquents dans leurs gestes et leurs regards. Chez Grandrieux l’émotion ne passe pas nécessairement par les mots mais par l’image. C’est elle qui parle, qui dicte ses failles et ses forces, et qui par une brusque rupture du cadre signifie ce que la parole serait incapable de transcrire. Un cinéma avare en mots donc, mais riche en sensations. Car loin des errances de ses personnages paumés dans Sombre et La vie nouvelle, la plénitude du film naît du portrait de cette famille sédentaire taillée dans la roche et modelée par la main de mère Nature. Que ce soit celui du fils, de la fille ou de l’étranger, chaque visage est un territoire à arpenter et dans lequel se terre la pureté et l’animalité. A croire que Grandrieux ne pourrait construire un film qu’en filmant des visages. Et quand ceux-ci se perdent dans l’immensité des champs enneigés ou dans les couloirs ocre et fumés d’un chalet par trop onirique, nous ne sommes plus très loin d’une métaphysique de l’espace. L’espace d’un visage, l’espace d’un lac. En somme Grandrieux est une nouvelle forme d’anthropologue. Un peu à la manière de Sharunas Bartas il scrute les fissures de la terre afin qu’émerge la sève de l’homme. Ou quand l’expérimental raconte une histoire.
 
Denis

 
 
 
 

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