|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Le petit fugitif (Little Fugitive)
USA / 1953
rep. 11.02.2009
|
|
|
|
|
|
L'ENFANCE DE L'ART
Le Petit fugitif débute par une voix-off, celle du grand frère, Lenny. On pourrait croire un instant que ce sera lui le fugitif du titre. Pourtant la première image, c’est celle de Joey accroupi sur le trottoir en train de jouer avec passion et seul. Ce petit frère qu’il regarde de haut lui pique immédiatement la vedette. Tout le film procède de ce basculement-là : le héros, c’est la liberté. Lenny appartient à un groupe (des préadolescents qui jouent ensemble et se moquent du petit frère) alors que Joey est infiniment libre ; c’est donc lui que le trio de co-réalisateurs, Ray Ashley, Morris Engel et Ruth Orkin, suivront pas à pas. Dès lors, la caméra se met à la hauteur du petit fugitif – à sa taille, mais aussi dans son mouvement de fuite. Peu de films auront été aussi proches de l’enfance, dans son regard, sa cruauté mais aussi dans cette soif de vie qui emporte le spectateur dans son sillage vers un monde neuf.
Une fuite encadrée par la mort
C’est parce que la grand-mère est malade que la mère part et donne la responsabilité de Joey à Lenny. Ce soupçon mortifère pèse à ce point sur les enfants qu’ils sont obligés de jouer une scène de mort de leur invention. Lenny arme son frère d’un faux revolver et le laisse lui tirer dessus pour simuler une mort, à laquelle croit le petit Joey qui s’enfuit. Est-il marqué par la culpabilité ? Pas vraiment : il semble oublier le poids du passé et s’abandonner tout entier à son action, à la vie au présent. Joey trouve un nouvel espace de jeu dans le labyrinthe du métro de Brooklyn, puis surtout à Coney Island, l’enclave merveilleuse qui doit beaucoup à l’île de Pinocchio. C’est le lieu de la répétition, de l’enlisement, de l’action qui tourne à vide. Joey ne rêve que de chevaux et multiplie jusqu’à l’épuisement les tours de manège, avant de se confronter à des animaux réels (les poneys). Au sein même de cette fuite, Joey apprend les règles du monde adulte : il récupère des bouteilles en verre pour obtenir de l’argent et pouvoir payer lui-même ses tours. Dans cette grande solitude (après tout, il croit que son frère, son modèle, est mort), Joey devient lui-même avant de redevenir in fine le petit garçon du début (en pyjama dans les jupons de sa mère).
Photographier le réel
La beauté de la liberté qu’expérimente Joey est avant tout celle de la caméra. Cachée, elle filme Coney Island, cette pointe sud de Brooklyn, comme le lieu de tous les possibles. Petit garçon parmi les visages inconnus de la foule, Joey est le relais qui permet aux réalisateurs de montrer la vie comme on le ferait avec un appareil photo. Telle femme dormant avec son bébé sur la plage, tel couple qui s’embrasse caché sous les poutres : les images de Morris Engel (qui est avant d’être cinéaste photographe, comme sa femme Ruth Orkin) sont autant de moments volés sur le vif qui défient l’utilité dramatique pour dresser le portrait des Américains à Coney Island en 1953.
Cette réalité dépasse sans cesse la fiction préméditée et donne au Petit Fugitif le souffle grisant des premières fois : la légèreté du filmage et le travail d’équipe devenu familial annoncent tout un pan du cinéma indépendant à commencer par le Shadows de Cassavetes (1959). Il est donc peu étonnant qu’un jeune critique, François Truffaut, reconnut le film comme une influence majeure : quelques années avant Les 400 coups, Le Petit Fugitif s’échappe des carcans pour dresser un hymne à la liberté de l’enfance, enfance qui est aussi celle d’un cinéma en train de naître.
martin
|
|
|