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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Un tir dans la tête (Tiro en la caneza)
Espagne / 2008
11.03.2009
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HISTORY OF VIOLENCE
L’ambition de départ de Jaime Rosales (La soledad, Las horas del dia) est on ne peut plus simple : en réaction à un fait divers sanglant, il a eu envie de décortiquer les mécanismes conduisant un individu en apparence banal à recourir à la violence. Ecrit dans l’urgence et tourné dans la foulée, le scénario repose sur un dispositif formel audacieux consistant à tout filmer au téléobjectif et sans aucun dialogue audible. On suit ainsi le personnage principal dans ses activités de tous les jours (dans la rue, à son bureau, avec ses amis…) comme si l’on était un témoin extérieur en embuscade.
Il faut l’avouer, le résultat est terriblement ambivalent. Dans la première partie, et passé l’effet de surprise, on s’ennuie ferme devant ces images volées dénuées de fonds, et il semble que le moment où le récit se noue, s’il existe, ne va jamais arriver. Rosales étire inutilement ces scènes de rue, de parc, de café, qui ne font que dire toujours la même chose : regardez comme cet homme est "normal", regardez comme il vous ressemble !
Et puis soudainement, la tension monte d’un cran et l’on sent, avant que cela soit perceptible à l’écran, que le ton a changé. Tout bascule dans une cafétéria où le personnage principal et ses amis reconnaissent deux hommes attablés. Echange de regards, poursuite, exécution. Toujours sans explications, deux hommes gisent dans leur sang, une balle dans la tête. La première réaction est celle de la frustration face au manque d’explications : qui sont ces hommes et pourquoi s’entretuent-ils ? Mais très vite, il apparaît que les raisons importent peu. Quelle différence cela pourrait bien faire, à part nous permettre de rationaliser cette violence en termes de bien et de mal ? Connaître les causes d’un crime permettent de déterminer de manière parfaitement schématique qui sont les bons et qui sont les méchants, ce qui revient à masquer la réalité (la mort de deux hommes), derrière un fard trompeur.
Une radicalité qui provoque notre instinct
Le procédé de Rosales prend alors tout son sens. C’est uniquement ainsi, parce que l’on ne connaît rien des motivations du personnage central, ni de sa personnalité ou de son histoire, que l’on peut en tant que spectateur garder ses distances avec ses actes et ne chercher ni à les comprendre, ni à les justifier. Or, si l’on savait par exemple que ses deux victimes avaient auparavant tué toute sa famille, sans doute éprouverait-on de la compassion pour son acte. Les conséquences, elles, seraient pourtant les mêmes : des vies brisées et un gâchis sans nom.
Plus qu’une réflexion sur le mécanisme du passage à l’acte, le film sert ainsi plutôt de révélateur au rapport ambigu que chacun entretient avec la violence. Lorsque seule une telle radicalité formelle parvient à créer la distanciation nécessaire pour gommer toute tentation de glamour ou de romantisme (omniprésents dans la plupart des thrillers), cela pose la question de ce que l’on est capable d’endurer en tant que spectateur mais aussi du système de défense naturel que l’on se crée pour supporter ce type d’actes violents. Au lieu de donner des réponses toutes faites, le film de Rosales lance plusieurs pistes de réflexion, et en cela, c’est forcément une réussite. Toutefois, fallait-il nécessairement en passer par un récit aussi long, avec le risque de perdre le spectateur, quand une démonstration plus courte et encore plus radicale aurait d’autant mieux atteint son but ?
MpM
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