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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Welcome
France / 2008
11.03.2009
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DEUX HOMMES EN COLERE
"- Tu sais ce que ça veut dire quand on commence à interdire l’entrée des magasins aux gens ? Tu veux que je t’achète un livre d’histoire ?
- Tu veux faire quoi ?
- Me mettre en colère."
Tiens, et si l’on se mettait en colère ? C’est presque une invitation, celle de Philippe Lioret. Cinéaste apprécié pour ses films grand public, en général simples, émouvants et sensibles, il nous lance avec ce Welcome une forme de manifeste. Sans se départir de son style, une mise en scène classique et discrète entièrement au service de l’intrigue, le réalisateur de Je vais bien ne t’en fais pas et de Mademoiselle s’érige en observateur citoyen des dérives de notre société. Pas de pathos, pas de morale, juste un regard qui ose affronter les réalités que l’on préférerait certainement glisser sous le tapis, celles de ces réfugiés que l’on tolère sur le territoire français en toute hypocrisie, sans les renvoyer (car venant de pays en guerre) mais sans les aider non plus. Parqués dans un no man’s land désolé près de la ville de Calais, ils ne peuvent ni partir, ni rester, et s’étiolent, voire se détruisent, à tenter de rallier "l’Eldorado" britannique par tous les moyens.
Pour donner le contrepoint, le scénario introduit deux personnages confrontés à cette réalité sordide. D’une part Marion, bénévole qui distribue de la nourriture et des vêtements aux réfugiés, mais refuse de dépasser les limites de la stricte légalité, et d’autre part Simon, qui ne porte pas un grand intérêt à la question. "Tu veux faire quoi ?" demande-t-il d’un air résigné à son ex-compagne. Pas vraiment militant dans l'âme. Et pourtant, lorsque par un concours de circonstances, il apprend à connaître l'un de ces jeunes réfugiés, Bilal, il devient peu à peu prêt à tout pour l’aider : l’indifférence ne tient plus à partir du moment où l’on connaît les gens par leur nom et que l’on a entendu leur histoire. Les autorités le savent bien, qui tentent d’empêcher tout contact et d’ériger une invisible et infranchissable barrière entre "eux" et "nous". En cela, on rejoint les récents films sur le sujet comme The Visitor et Gran Torino. Des hommes indifférents, transparents, dépassés, qui ont de l'empathie pour un jeune issu d'une autre culture, en proie à des problèmes sociaux et politiques liés à leurs racines.
Principes élémentaires d'humanité
En plus d’être une voix audible et intelligente dans le concert des protestations ambiant, Philippe Lioret interroge en profondeur la nature d’une société régie par la peur. Avec justesse, il montre cette lutte acharnée des représentants de l’ordre pour empêcher toute compassion et saper toute solidarité : harcèlement des bénévoles qui tentent de secourir les réfugiés, intrusion policière dans la vie privée de ceux qui refusent de s’écraser, mélange de menaces, d’intimidation et de poursuites judiciaires… Le parallèle que ces faits font immanquablement naître entre notre époque et celle de Vichy n’est pas si artificiel, ou facile, que l’on pourrait croire. Il montre les limites de la loi et de la justice, dès lors qu’elles bafouent les principes élémentaires d’humanité. Où, mieux qu’en France, on pourrait se souvenir qu’aucune autorité ne peut nous empêcher de secourir une personne en difficulté, de donner à manger à celui qui a faim ou d’offrir un toit à qui en a besoin, juif, résistant ou émigré en situation irrégulière ?!
Et pourtant, le portrait que Philippe Lioret, Olivier Adam et Emmanuel Courcol dressent de la France, patrie des Droits de l’Homme, après avoir rencontré des bénévoles quotidiennement aux prises avec cette situation, donne tout simplement envie de vomir. Heureusement, en évitant tout sensationnalisme, le film parvient à convertir ces sentiments mêlés de honte et d’incommensurable tristesse en une énergie brute de révolte et de colère qui laisse présager une vraie prise de conscience chez ceux qui, jusque-là, appartenaient comme Simon au camp des indifférents. Face à ceux qui s'enthousiasment d'être scannés à nu par "Big Brother", il existe toujours une limite à partir de laquelle les "bons" citoyens se révoltent face à l’injustice. Cette limite, enfin, semble atteinte.
MpM
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