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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Dans la brume électrique (In the electric mist)
France / 2008
15.04.2009
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LE GRAND SOMMEIL
"Le passé n'est pas mort, il n'est pas encore passé."
Dans un paysage, la brume révèle autant qu’elle ne dissimule, par cet étrange effet qu’elle a de donner à voir un monde différent, caché derrière celui que nous connaissons. C’est pourquoi elle est le théâtre idéal pour cette nébuleuse enquête dont le but n’est pas tant de démasquer un assassin que de faire le portrait d’une époque. Dave Robicheaux évolue en effet dans une société qui est dans le même état de décomposition que les victimes qu’il découvre. Comme elles, sa beauté passée et éphémère cache de sordides secrets. Comme elles, elle a été martyrisée et détruite par des hommes sans scrupules. On est en plein après-Katrina : comment croire que ces maisons effondrées sont là par hasard ? Le microcosme de New Iberia part en lambeaux, et quelques personnes de bonne volonté (comme l’épouse de Robicheaux) s’attèlent à le reconstruire. D’autres (à l’image du mafieux Balboni) spéculent sur cette destruction.
Dans ce contexte, Dave Robicheaux est le héros idéal : vieux cow-boy fatigué continuant envers et contre tout à poursuivre son idéal de justice et de paix. La colère qui l’anime en fait un véritable personnage poil-à-gratter, tantôt cyniquement drôle, tantôt d’une élégance rare, tantôt ultra-violent. C’est qu’il n’aime pas que l’on se permette de fouler aux pieds ce en quoi il croit. Ici, la référence aux films noirs d’antan est on ne peut plus flagrante : âpre et goguenard, Tommy Lee Jones est parfait en Humphrey Bogart contemporain qui assiste, impuissant et désabusé, à la fin de son monde. Comme un Sam Spade revenu de tout, il est capable d’écraser un homme en trois coups de poing et de flirter avec l’illégalité, du moment que c’est pour la bonne cause.
brumeux et envoûtant
On n’est pas surpris de retrouver une telle influence chez Bertrand Tavernier, grand amateur de cinéma américain et de polars à l’ancienne, d’autant qu’il se réapproprie avec justesse le genre, situant clairement l’intrigue de nos jours tout en laissant une certaine patine d’époque au niveau du ton, des rapports humains et surtout de l’ambiance. Avec un incontestable sens du rythme, le réalisateur alterne notamment éléments propres à l’enquête et passages plus introspectifs, presque poétiques, qui entraînent le spectateur dans une dimension trouble relevant à la fois du fantasme, de l’hallucination et du symbole. Robicheaux, en effet, se retrouve à errer autour du bayou en compagnie d’un vieux général confédéré et de ses soldats (d’où le titre du roman qui a inspiré le film). Ces fantômes apportent paradoxalement une vraie sérénité au film, lui offrant un point d’ancrage supplémentaire dans le passé. Car il n’est absolument pas anodin que le détective soit sollicité au même moment sur deux affaires situées à 40 ans d’intervalle. La temporalité, le rapport entre passé et présent, prennent une importance capitale dans ce récit d’une guerre inachevée entre deux camps qui reviennent éternellement à l’assaut. "La guerre n’est jamais finie", essaye de faire comprendre le vieux général mort au détective perplexe. Il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers, ou croire que la victoire est acquise. C’est au contraire le même mal qui revient à toutes les époques pour livrer le même combat finalement perdu d’avance.
Cette intrusion surnaturelle et métaphysique dans le genre si codifié du thriller a beaucoup dérangé la presse internationale qui découvrait le film à Berlin. On lui a reproché (quel contre-sens ironique !) son intrigue embrouillée, son dénouement confus, ses passages brumeux. Ce sont pourtant ces étonnantes séquences surréalistes qui sont les plus réussies, faisant basculer le film dans un propos universel autrement plus profond que la simple résolution d’une énigme. Qu’importe qui est le meurtrier, et quel est son mobile, quand toute la démonstration tend à montrer qu’il est l’héritier d’une long tradition, et l’ancêtre d’une nombreuse lignée. Déstabilisant, c’est vrai, mais surtout éminemment envoûtant. N’est-ce pas là l’essence même du film noir originel ? N’en déplaise à ceux qui ont la mémoire courte, Dans la brume électrique est probablement la réinvention la plus intelligente (et la plus justifiée) qui ait été faite du genre depuis des années.
MpM
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