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SE SOUVENIR DE LA BELLE CROZE
«- Allez, racontez moi une histoire.»
Il y a toujours la peur. Pour les amoureux du livre d’Anna Gavalda, la peur d’être déçu, de ne pas s’y retrouver. Pour ceux qui apprécient le travail de Zabou Breitman, la peur d’être perdu dans un univers qui, a priori, n’est pas le sien : la romance.
Et puis il y a la peur que l’on ressent à l’écran, celle des personnages. La peur de perdre l’autre – son mari, son amant, sa maîtresse, … -, la peur d’assouvir ses désirs, d’être libre, vraiment libre, la peur de quitter son confort, matériel et relationnel, de partir vers l’inconnu(e).
Toutes ces peurs hantent la première demi heure. Le film se complait dans une ambiance sombre, froide, grise, presque déprimante. Toute vie semble éteinte. La belle-fille, Chloé (Florence Loiret Caille, à fleur de peau), est fébrile, nerveuse. Les enfants sont livrés à eux-mêmes, le McDo, les dessins animés à la télé. Tout aussi égaré dans sa solitude, le beau-père et grand père, Pierre (Daniel Auteuil), semble ailleurs, dans un autre monde. Il fait écho à son personnage de L’adversaire (de Nicole Garcia). On craint le pire.
C’est le meilleur qui va surgir. Il va raconter une histoire. Il va transmettre à sa belle-fille une leçon d’amour, une façon de vivre. Ou plutôt de ne pas mourir. Il va faire renaître par la parole les souvenirs. Ainsi ces réminiscences d’un passé proche (la rupture de son fils avec sa bru) ou lointain (sa passion avec Mathilde) vont s’entremêler pour révéler la force dévastatrice que peut avoir l’amour sur les êtres humains.
Zabou Breitman nous emmène alors dans une autre époque, un autre monde, une autre histoire. Nous sommes transportés dans les années 90, à Hong Kong, et nous découvrons Pierre en crise de la quarantaine. Le grand père était absent, éteint. Il avait un rôle marginal face à sa belle-fille dont la détresse attirait l’attention. Pourtant, c’est son passé qui va nous intéressé, qui va devenir le cœur du film, le coup de cœur du spectateur.
A l’ombre se substitue ainsi la lumière. L’homme subit un stress professionnel et sait que son couple va à la dérive. Admirable Christiane Millet, exquise en quadra soumise, abimée par ce mariage raté, étouffée dans son statut d’épouse, de mère, de bourgeoise, qui n’aime plus son mari. Prisonniers des convenances : « je ne voulais pas perdre la maison au bord de la mer ».
Et puis nous nous envolons pour Hong Kong. Une rencontre qui na rien d’idyllique, de romantique. Une salle de conférence impersonnelle dans une tour, des discours techniques d’ingénieurs, en français, traduit en chinois par une jeune femme sexy (Marie-Josée Croze).
Zabou Breitman s’émancipe, s’envole, se lance à corps perdu dans cette histoire de cœurs trouvés. Le film décolle avec grâce. L’alchimie du couple fonctionne très bien, joyeux, heureux, souriants. « Tout était faux. Ce n’était pas Paris. Je n’étais pas un touriste. Je n’étais pas célibataire. » Face à ces artifices typiquement cinématographiques, romanesques, qui font écho aux mélopées visuelles de Wong Kar-wai, Zabou insuffle son style plus brut, plus personnel : elle impose ce réalisme quasi documentaire des films de Raymond Depardon. Ainsi l’histoire d’amour est comme un conte de fée dans un récit de faits.
Cette liaison le rend vivant. Et là il y a quelque chose des histoires de Sautet, délicates et fines, sensibles, où les personnages intériorisés revivent à la lumière de la flamme. « Pour la première fois, je suis amoureux. » Un bonheur insolent dans le passé qui s’oppose à la douleur insistante du présent. Car Chloé, plaies ouvertes, l’avoue : « Vous me faîtes tous mal dans cette famille ». Il suffit d’un baiser pour déterrer un désir enseveli. « On ne se met pas à aimer quelqu’un, on se met à aimer quelqu’un d’autre. Peut être parce qu’il y a de la place. » De la place pour quatre ans de jeu, un pacte romanesque : passer quelques heures ensemble, dans l’incertitude, puis l’inconnu, jusqu’à l’éventuelle prochaine rencontre.
Mais tout se répète. Un mariage comme une liaison régulière se concluent en rupture. « Tes défauts vont bien avec les miens ». jusqu’au jour où ils sont incompatibles, où la relation a besoin de se nourir autrement que dans le sexe et le mystère, la fantaisie et la transgression. Prisonnier d’un mariage, Pierre est aussi prisonnier de son élan du coeur. Cette femme icône le rendait vivant, elle va tout autant le dévitaliser. Je l’aimais nous charme avec sa vision de de la passion, belle, stérile, destructrice.
Pour y croire, Zabou Breitman a trouvé en Marie Josée Crose, magnifiée, de sa cambrure de rein à son sourire généreux, l’amante idéale. Radieuse, elle hantera le spectateur, tombé sous le charme.
Je l’aimais, film qu’on ne peut qu’aimer si l’on accepte les différents degrés de son histoire, est la réalisation la plus mature de la cinéaste. Formellement la plus ambitieuse, cette œuvre pleine d’espérance comble aussi les attentes de voir enfin un bon film français, que ce soit son esthétique, son intention romantique, ou son ton dramatique. Un film mature où Breitman déploie toutes ses influences, tous ses talents pour nous faire vivre une histoire d’amour sans morale, sans message. Juste un « carpe diem » où la sincérité l’emporte sur la mise en scène, où l’émotion perce toutes les digues, pour nous faire comprendre que l’amour vaut tous les risques, tous les sacrifices.
Sinon, on meurt.
vincy
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