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CONTE DE BRETAGNE
« - Tu sens le cul toi, tu sens le vieux cul battu.»
Les films de Christophe Honoré ne manquent jamais de charme. Non ma fille tu n’iras pas danser n’en est pas dépourvu. On se laisse facilement happer dans cette chronique familiale douloureuse et vivifiante. Cela vient, pour l’essentiel, de l’insoutenable légèreté de Chiara Mastroianni, qui tient là, son premier grand rôle, un personnage oscillant entre détermination et déstabilisation, envie de liberté et incapacité à se détacher.
Cinématographiquement, on note des résonances avec Chéreau et Téchiné. Mais le film est davantage comme un double du Conte de Noël de Desplechin. Le même couple de parents. Lui arrondissant les angles, elle assez revêche. Barrault en Deneuve, avec le fantôme de Vadim quelque part, c’est l’une des excellentes idées du film. La sœur – Marina Foïs toute en subtilité - trop raisonnable pour ne pas craquer à un moment donné. Le frère, qui ressemble à Honoré comme deux gouttes d’eau, un peu fantasque. Les ombres de Consigny et Poupaud. Il y a aussi l’amant éconduit, celui qui ne fait pas partie de la famille (Louis Garrel qui fait du Louis Garrel) et l’ex-mari trop terre à terre (Barr, idoine, remplace alors Girardot). Honoré a-t-il calqué Desplechin ?
Non pas vraiment, malgré toutes ces similitudes frappantes. Mais cela retire de l’originalité à son scénario. Ce qui lui permet de se distinguer du joyeux jeu de massacre du Conte de Noël est d’avoir mis au centre le personnage le plus marginal, le plus farfelu de la famille. Là où Amalric était périphérique à l’image, et au centre des intentions, Mastroianni est constamment présente à l’écran, et mise à l’écart de tout. Incapable qu’elle est de s’occuper de ses enfants, de son compte en banque, d’un oiseau blessé, d’un chaton, de ses sentiments… Elle veut souffler et on l’étouffe. La tyrannie des parents, de la petite sœur parfaite, des enfants, de la morale, de la société, de la bienséance au fond… Ingérences et régence.
Honoré dénonce ainsi le parti de l’ordre et crie son hymne à l’amour, aux sentiments, aux émotions. En une image : l’affiche des Enchaînés, et sa passion hitchcockienne où la justice se confronte à l’Amour. Tout le monde veut son bien mais personne ne se soucie vraiment d’elle, n’accepte qu’elle soit différente. Ouverte, peut-être trop elliptique, la fin, après un enchaînement d’épisodes dramatiques et heureux, cherche une voie d’apaisement. Vaine ? Il n’y a pas de place pour ceux qui refusent les contraintes. Les femmes apparaissent malheureuses, composant leur bonheur avec quelques instants hédonistes ; les hommes semblent résignés, s’octroyant quelques bouffées d’oxygène.
Derrière les traquenards et les guet-apens, le cinéaste tisse une toile où une poupée fragile se débat dans des fils bien solides. C’est le personnage interprété avec brio par Chiara Mastroianni, qui épouse chaque nuance et chaque ton de sa versatilité, qui fascine le plus. Imprévisible, stressante, chiante, contradictoire, séduisante, indécise, capricieuse, libre, confuse, excessive, elle est si exigeante qu’elle foire tout. Un électron libre, un papillon de nuit, une femme magnifique. Insaisissable. A son opposé, le fils extraordinaire, Anton. Qui parfois joue les grands frères. Qui lui raconte de jolies histoires pour qu’elle comprenne parfois la valeur des obligations et la vanité des dérégulations.
Le film s’autorise un aparté insolite, pour ne pas dire incongru. Sans doute trop long, et assez répétitif. Un conte folklorique breton, une sorte de légende mythique où la femme est piégée à son propre jeu. Seule incartade morale, il étire le film et évapore son parfum. Déboussole le spectateur. Et donne à l’œuvre son aspect inachevé.
Comme si les points de suspension de la séquence finale appelait à retrouver cette famille dans un autre film.
vincy
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