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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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District 9
USA / 2009
16.09.2009
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RENCONTRE D'UN TYPE NEUF
«- Nous avons besoin de votre signature pour l’avis d’expulsion
- « Je t’emmerde ! »
En voilà une véritable surprise. De celle qu’on osait plus espérer après un été plus que médiocre dans sa livraison habituelle de blockbusters. Quand le savoir-faire est au service de la création, il n’y a pas de secret et encore moins de déception. Aucune chance de se tromper : District 9 étale la victoire écrasante d’un « Lévy » foutrement couillu contre nombres de « Goliath » désespérément assommant. Continuateur éclairé – car d’auteur – d’une SF en demande de renouveau, le premier long-métrage de Neill Blomkamp se découvre avec enthousiasme et curiosité. Sorte de patchwork d’influences diverses habilement imbriquées, District 9 trace sans effort ses propres codes autour d’une narration immersive, impertinente, contemporaine. Pour un coup d’essai, il s’agit d’un coup de maître !
A l’origine, le cinéaste devait réaliser l’adaptation du jeu vidéo Halo si cher au réalisateur/producteur Peter Jackson. Le projet, pourtant alléchant, tomba à l’eau mais ne découragea pas l’ami Peter bien décidé à laisser s’exprimer le talent du jeune cinéaste. Un peu comme Tim Burton avec Shane Acker sur son Numéro 9, Jackson – et une enveloppe douillette de 30 millions de dollars – poussa Neill Blomkamp à développer en toute liberté l’univers de son court métrage Alive From Joburg. Bien lui en a pris car D9 est un véritable bijou d’anticipation post moderne dont l’histoire, osée, brasse à merveille fantastique pur, satire sociale et pamphlet géopolitique. Le résultat, visuellement bluffant, associe à la perfection divertissement et réflexion. Soit l’essence même des plus grandes œuvres de la SF depuis les années 50 ayant, presque à chaque fois, réussies à susciter la fascination auprès de générations entières de spectateurs.
le pari de la fiction documentarisée
Afin de rendre cohérent un pitch original inversant les rapports de domination entre les humains et les extra-terrestres, Neill Blomkamp s’approprie la technique du docu-fiction façon Rec, Cloverfield ou encore Diary of the dead du maître Romero. Un tel parti pris de mise en scène n’est bien sûr pas anodin, Blomkamp façonnant son énonciation autour d’une vérité improbable (le stationnement d’un vaisseau extraterrestre au-dessus de Johannesburg) mais présentée et surtout développée comme un sujet d’information parfaitement recevable. L’interaction entre les deux espèces est criante de vérité et ne dénote pas des infos délivrées au JT ou de vidéos postées sur YouTube. Le réalisateur fait ainsi de son cinéma un art du détournement en répondant à la question comment faire du vrai avec du faux. Dans D9 la distorsion entre fiction et réalisme s’annule littéralement. Tant et si bien qu’il nous est impossible de ne pas penser, en voyant tous ces aliens parqués dans des ghettos misérables, aux images des camps de réfugiés, aux milliers de déplacés suite à des catastrophes du type Katrina ou, pour aller plus loin dans l’analogie, aux camps de concentration. L’anticipation favorise le trait de la critique, fut-elle métaphorique, de nos sociétés incapables d’éradiquer la misère, de gérer ses exclus et de trouver des réponses coordonnées. District 9 prend donc le pari de la fiction documentarisée afin de pointer en majuscule les errances d’une humanité aveuglée par sa propre incurie.
Mais alors, où est donc le divertissement dans tout cela ? Il se greffe intelligemment par l’intermédiaire du personnage principal, fonctionnaire maladroit à cheval sur les procédures en charge d’organiser l’évacuation des extra-terrestres devenus au fil des années de plus en plus ingérable. Nous suivons, toujours en temps réel, l’avancement des opérations dont le rythme, le sens de l’à-propos et la pertinence satirique est à son comble. Cette réussite est renforcée par l’intégration parfaite des aliens dans leur environnement crasseux. C’est au cours de l’opération que le basculement narratif opère : le fonctionnaire sera contaminé par une substance alien qui le transforme inéluctablement en créature hybride. Si l’élément fantastique survient de façon fortuite, son origine est liée aux agissements des humains. On pense alors à La Mouche de Cronenberg, la dimension sociopolitique en plus.
La partition est spectaculaire, la tension palpable et l’émotion sincère
Neill Blomkamp tire deux conséquences de cette transformation, conséquences d’ailleurs indissociables du troisième tiers du film. La première consiste à faire de Wikus van der Merwe (épatant Sharlto Copley) un paria, sorte d’individu unique car différent. Il sera, en toute logique, rejeté, exploité et abandonné par les siens. La deuxième, plus classique dans son traitement, viendra des comportements d’une organisation privée avide de pouvoir et d’argent. Elle fera tout pour tirer profit d’une telle opportunité et sera prête à sacrifier son employé. Le resserrement de tels enjeux motivera un axe de lecture plus simpliste, voire classique d’un D9 aux images toujours aussi percutantes. La liberté de mise en scène surfant entre la fiction pure et le docu-fiction des deux premier tiers correspond à l’évolution du personnage mi-homme, mi-alien. Ce basculement ne changera pas jusqu’au dénouement et son délire d’action robotique à l’arsenal proche, justement, d’un Halo. La partition est spectaculaire, la tension palpable et l’émotion sincère. Seuls les enjeux de départ seront un peu oubliés dans ce maelström visuel. L’acte final s’achève donc dans un univers proche du post-nuke saupoudré à la sauce japoanimation. Akira n’est plus très loin, la qualité esthétique prenant le pas sur la réflexion initiale même si les derniers plans sont à couper le souffle.
Neill Blomkamp réussi à coup sûr un film hybride axé sur une mise en scène évolutive entre la transformation du personnage principal et le mélange des genres. En énonçant comme il le fait la valeur performative de l’image produite, le cinéaste ne décrit pas un phénomène mais le crée. Il indissocie fiction et réalité pour nous conter une œuvre puissante, déchirante, actuelle, intelligente. Que demander de plus…
geoffroy
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