Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Victim


/ 1961

23.09.2009
 



SO GOOD SO FARR





«Si c’était de l’amour, pourquoi ai-je voulu l’étouffer ? Pourquoi ? »

1961. Alors que l’homosexualité est punie par la loi en Grande-Bretagne et malgré un tournage périlleux, Victim sort sur les écrans et connaît un certain succès. Aujourd’hui fameux pour son courage (le mot « homosexuel » est prononcé, et plus d’une fois !), le film peut apparaître, quant à sa description de l’homophobie, daté et un tantinet didactique, à première vue du moins, car le film dépasse de loin l’idée d’un quelconque militantisme : c’est du trop éternel asservissement des faibles (les victimes du titre) par les forts (ceux qui détiennent les informations) qu’il s’agit ici. Ce jeu de pouvoir est ici transcendé en un jeu d’ombres et de lumières auquel cette nouvelle copie rend toutes ses vertus.

La bête dans l’ombre
Le récit repose sur un renversement de taille. Pour la loi et tous les personnages, même le policier tolérant, même les personnages d’homosexuels, la bête sommeille dans l’homosexuel même ; l’avocat Farr (Dirk Bogarde) tente ainsi de taire l’appel en lui et se targue de ne pas l’avoir vécu devant ceux qui y ont cédé. Le film, à l’inverse, n’accuse pas l’homosexualité mais cette société de dénonciation et de voyeurisme généralisée. En cela, Victim est en avance sur son temps, décryptant les jeux de regard dans les bars, dans la rue, ou encore l’impact d’une image dans la presse. Dans les scènes de bar en particulier, un aveugle ne cesse d’écouter les conversations pour tirer des informations et plus tard soutirer de l’argent… Plus tard, un des maitres chanteurs est directement qualifié de « voyeur ». Pulsion auditive de l’aveugle ou visuelle d’une femme derrière ses grosses lunettes : le pouvoir de l’ombre passe par la matière même du cinéma, l’image et le son. Ces spectateurs pervers ont d’ailleurs en commun une frustration : ils sont privés d’amour. Peu étonnant dès lors qu’ils dénoncent les amours des autres, illicites à leurs yeux malheureux…

Ce pouvoir de l’ombre est souligné par l’utilisation de cadres qui enferment et donnent un fort sentiment d’oppression. L’ouverture du film montre Barrett, homosexuel acculé au suicide, qui parcourt un immeuble en construction, passant derrière d’innombrables barreaux, annonçant son fatal séjour en prison. De nombreuses scènes au téléphone montrent les personnages en contre-plongée, accentuant une frayeur qui passe de personnage en personnage. Cette mise en scène de la terreur se retrouve dans le montage qui suit le fil d’une transmission du mal : un coup de téléphone de Barrett ; un de ses amis répond et prend un mystérieux paquet ; la police entre tandis que l’ami fuit, donne le paquet à Barrett qui donne un autre appel, qui conduit à une nouvelle mécanique… Le téléphone joue ici un rôle déterminant, comme une poussée du secret vers le monde.

Visages et lumière
Mais c’est surtout les ombres et les lumières sur les visages que le réalisateur, Basil Dearden, utilise pour signifier ce jeu du secret dévoilé. Autant les extérieurs baignent dans la grisaille, autant les intérieurs sont finement éclairés, jouant des lumières crues qui rendent les noirs encore plus noirs, les blancs encore plus blancs. L’extérieur, c’est la rue, le lieu de l’anonymat où tous portent un masque normalisant. L’intérieur, c’est le lieu du secret. Lorsque Farr avoue à sa femme ses rencontres avec Barrett, il passe devant et derrière la lampe du salon ; les lumières blafardes mettent soudain les visages à nu, durcissant les traits, puis l’ombre se fait entièrement sur le visage de Farr qui apparaît soudain tel qu’il est – double, lui-même scindé.

On peut ici parler de révélation au sens photographique. Les visages passent sans cesse du positif au négatif, comme pour ne pas se fixer, à cause d’une loi qui oblige à se cacher, mais qui est bel et bien intériorisée. Ainsi le fil du récit se concentre sur comment Farr accepte de dévoiler son homosexualité au grand jour, et donc de se perdre (il est avocat). C’est d’ailleurs une photographie qui trahit Farr, une photographie intime qui s’oppose aux coupures de presse amoureusement collectionnées par Barrett, témoin de sa réussite professionnelle. L’image intime n’est habilement montrée qu’à l’envers, ou à la fin brûlant dans les flammes, dans une lumière aveuglante. Nul insert ne vient satisfaire la curiosité. Ainsi interdite aux yeux du spectateur, elle est cependant décrite par le vieil et fidèle assistant de Farr dans une des plus belles scènes du film. Farr lui avoue son homosexualité, ne voulant pas qu’il l’apprenne par la presse, en lui tendant la photo preuve. Le vieil homme, tout sauf juge, regarde la photo montrant Farr et Barrett dans une voiture et n’a que ce commentaire : si Barrett ne pleurait pas, la photo ne serait pas compromettante. Ce sont les larmes de l’amoureux qui trahissent.

Victime des sentiments
Le film, non sans une certaine malice, compose une série de portraits de couples d’hommes : si aucun couple homosexuel n’est viable, il y a un duo de policiers, un duo d’arnaqueurs, etc. Les femmes, comme l’assistante du libraire, sont-elles reléguées au rang d’amoureuses délaissées ? Pas vraiment, car une femme sort tout de même victorieuse de ce monde masculin, Mme Farr, la femme de l’avocat. Un peu fade au début, elle pourrait n’être qu’un beau personnage de femme raisonnable et compréhensive ; mais elle reprend peu à peu des forces et reste auprès d’un homme qui ne l’aimera jamais autant qu’elle : « Le besoin est plus fort que l’amour », dit-elle à la fin. Elle condamne ainsi son mari à ne jamais vivre ses désirs en même temps qu’elle le sauve. Avec ce personnage, le film acquière une subtilité réelle, dépasse la description des codes et des interdits d’une époque pour atteindre les tréfonds de l’âme humaine, là où le sublime et le monstrueux ne font plus qu’un, là où il n’y a plus que des victimes.
 
martin

 
 
 
 

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