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L’HOMME BLESSANT
"Les trois quarts des choses te passent à côté, c’est émouvant ".
Patrice Chéreau poursuit son exploration des relations humaines en se penchant sur le cas d’un couple de trentenaires qui "dysfonctionne". Son propos est a priori limpide : montrer comment l’un des deux en arrive à persécuter l’autre par simple peur de le perdre. En tout cas, c’est ce qu’il explique fort bien dans le dossier de presse qui accompagne le film. Parce qu’à l’écran, ce n’est pas si évident.
On voit le personnage principal (Romain Duris) parler fort et abondamment, se poser trop de questions et s’agiter en tout sens tandis que sa compagne sourit sereinement, s’exprime peu, prend des poses mélancoliques. La plupart du temps, d’ailleurs, elle n’est pas là. Daniel fonctionne alors dans d’autres duos : avec des personnages âgées qu’il va visiter en secret, avec l’un ou l’autre de ses amis, et surtout avec un être encore plus paumé que lui (Jean-Hugues Anglade, en grande forme), surnommé "le fou", qui lui voue un amour passionné et inconditionnel. Daniel, logiquement, se sent persécuté. Réagit avec violence, philosophie, ennui, colère, mais sans réussir à se défaire de cette présence indésirable.
Passé cette exposition succincte, le film consiste en une succession de séquences décousues où le fou semble de plus en plus précisément le double parfait de Daniel, qui poursuit Sonia de ses reproches voilés et de son incommensurable mal-être. Daniel doute, Daniel souffre, Daniel a peur. Résultat, Daniel est passablement insupportable, et use son entourage. Même le fou se moque de lui : "Les trois quarts des choses te passent à côté", remarque-t-il avec justesse. Mais comme il est amoureux, il complète : "c’est émouvant".
Voilà peut-être le nœud du problème : à moins d’être sous le charme du personnage, on ne se laisse guère émouvoir. Au détour d’une scène particulière, peut-être, comme lorsqu’il se dégage enfin de ce grand type hâbleur et cynique une certaine fragilité, face aux personnes âgées qu’il accompagne, ou lorsqu’il parle de son père. Mais le reste du temps, il fait l’effet d’un fantôme errant en vain dans des scènes comme vidées de leur substance : tout sonne faux, des situations aux dialogues. On est dans un tel artifice, une telle emphase, qu’il devient difficile de croire en ces dilemmes, ces interrogations outrées. Daniel, Sonia et le fou ressemblent plus à des cobayes, des petits humains de laboratoire sur lesquels on testerait le concept de l’incommunicabilité, qu’à de vrais individus à la psychologie bien définie.
Dès lors, la démonstration du "qui persécute qui", désincarnée et laborieuse, échoue à dépasser le stade de l’anecdotique. Plus agacé qu’ému, on se désintéresse de ce cinéma faussement naturaliste que l’on a bien du mal à ne pas qualifier de légèrement nombriliste.
MpM
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