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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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In the Air (Up in the Air)
USA / 2009
27.01.2010
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FLYING BLUES
«- La fidélité n’a rien de dégradant.»
L’acidité et l’ironie, la dérision décalée et un cynisme adouci composent les nuances des films de Jason Reitman, qui navigue sur les eaux pas si sereines des comédies de Wilder et Capra. In the Air est un voyage à part. La vie vue du ciel nous amène très vite à terre : dans une Amérique déshumanisée et déculturée. Des Moines, Tulsa, Kansas City, Wichita, Detroit, Miami… Des aérogares impersonnelles, des chambres d’hôtel sans charme, tout est fonctionnel, efficace, incolore. Les gestes deviennent mécaniques. L’être humain ne veut plus avoir à réfléchir. Il en devient blasé.
Même les procédures de licenciement sont régies par des automatismes, comme un programme informatique. Quand ça ne bugge pas : un chômeur qui se suicide, une crise de nerfs…
In the Air est sans doute l’un des films qui reflètent le mieux la civilisation américaine contemporaine : l’accumulation absurde de Miles comme objectif de vie pourrait être une métaphore de cette surconsommation permanente des Américains, cette abondance qui remplit le vide existentiel.
Ainsi le personnage de Clooney vit sous ses lumières artificielles au milieu d’ombres anonymes. Comme tous les personnages des films de Reitman, sa prise de conscience sociétale (le tabac dans Thank you for smoking, l’avortement dans Juno et la crise économique ici) croise une crise identitaire dans un contexte moral assez flou. Il véhicule toutes ses contradictions sans se remettre en question, donnant ainsi des conférences sur le développement personnel, alors qu’il est inapte à son propre développement.
La catharsis est provoquée par deux femmes, l’une sur le plan personnel, l’autre sur le plan professionnel. La femme idéale (Vera Farmiga, sur une note juste du début à la fin) est comme son double : même obsession des cartes de fidélités – la séquence de la rencontre est hilarante -, même conversations sur les mérites des loueurs de voiture, même liberté sexuelle, … De quoi se ranger. La collègue rivale (Anna Kendrick, parfaite pimbêche) est comme son contraire : des méthodes formatées, une inexpérience du terrain, des aspirations familiales antagonistes… De quoi se mettre à la retraite.
Dans tous les cas, le rêve américain a du plomb dans l’aile. L’écriture délicate et ciselée, la mise en scène appliquée et dénuée de surplus en font une œuvre équilibrée, subtile, profonde, et, bien jouée, incarnée. Clooney, qui n’a jamais été aussi proche du jeu candide de Cary Grant, avec l’allure animale d’un Clark Gable, réussit à habiter cet homme d’affaire au sale boulot, tout en le rendant humain, irrésistible, charismatique, sans être immédiatement sympathique. Avocat du diable - l’entreprise et le grand capital - il se mue en défenseur illusionné du rêve américain, dénonçant le licenciement par procuration et adhérant soudainement au modèle du couple. Les Miles, étalon-maître de sa réussite comme d’autres se vanteraient de leurs mensurations, deviennent futiles. Psychologiquement fin, In the Air le place à un embranchement de sa vie, et nous fait croire qu’il y a une possibilité plus « normale » qui lui est offerte. L’amusement s’introduit dans son existence (avec un joli clin d’œil à Amélie Poulain et un placement produit ludique pour les BlackBerry). Qui contraste avec les bureaux vides, les chaises empilées, les visages défaits d’une Amérique au chômage.
La morale se situe essentiellement dans ce rapport au réel, quand on vit dans un monde virtualisé. Le boomerang va revenir violemment. Elle est aussi dans la facture (lourde) à payer quand on a causé autant de souffrances : on peut tout perdre. Il ne reste alors à gagner que sa part de dignité, à chercher une véritable liberté.
In the Air nous envoie en l’air sans l'ombre d'un Happy End. Au final, il y a une amertume qui sied bien au personnage, à cet Homo Americanus qui a cessé de regarder le miroir aux alouettes pour se voir dans une vraie glace. Lui qui s’est débarrassé de sa vie pesante comprend que l’affection, l’amour ne sont pas des charges, et que tout n’est pas matériel, mais n’est-ce-pas trop tard ? Dans cette époque où l’on rompt par texto, où l’on vire les gens par Internet, In the Air est une œuvre rigoureusement anti-conservatrice. Se moquant de ces jeunes tirés à quatre épingle, se moulant dans le système, planifiant chaque étape de leur vie, ou de ces ploucs au folklore douteux, aux obsessions chrétiennes et aux ambitions peu audacieuses, ou évidemment de ces cadres dirigeants, déracinés, seuls, se mentant à eux-mêmes. S’ils se moquent de tous, le film n’est jamais méchant et plutôt compatissant. Etre honnête en Amérique c’est se faire baiser. Réfléchir à aller contre le modèle américain, contre un schéma imposé c’est se faire rejeter. Rien n’est simple alors il faut simplifier pour suivre le diktat de cette société : « On veut tous un chez soi. C’est l’Amérique. C’est ce qu’on nous a promis. »
Terrible fatalisme. Heureusement, le personnage principal, un homme brisé dans son élan, a le moyen magique de poser sa valise, de s’évader où il veut et de choisir sa destination.
vincy
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