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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Ander
Espagne / 2009
17.02.2010
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INQUIETUDES
«- Que mange un Péruvien ?»
Ander est une œuvre singulière. Elle prend racine dans une région rarement filmée – l’arrière pays basque espagnol – et s’inscrit dans un décor hors du temps, montagnard et rural. La vie y est simple, les traditions y sont tenaces. Ander, c’est le prénom d’un homme qui devrait être marié depuis belle lurette. Qui remplace feu le père à table. Nourrit les cochons et travaille à l’usine. Déjeuner seul. Ecoute du jazz dans son pré. S’occupe de son potager. Fréquente une pute, pour l’hygiène. S’est oublié de vivre, en se soumettant aux tâches assignées. Pourtant rien n’est sordide.
Le film pourrait être un documentaire de Raymond Depardon sur le temps répétitif et routinier d’un homme solitaire. Il prend ce temps et le film s’adapte à son rythme. Cela le rend difficile d’approche. L’oeuvre ne veut pas séduire, elle cherche à nous surprendre. A la veille de l’an 2000, nous voici propulsés ailleurs. Des hommes qui ne sont pas sexy, un peu gras, poilu, presque bestiaux. Des femmes en chair, maternelles. Comme chez Guiraudie.
Chapitre suivant. José apparaît. Elégant, fin, presque beau selon des critères purement cinétiques. José c’est l’élément imprévu, l’étranger, l’exotisme. La mère s’en méfie. La sœur l’adopte. Ander est impuissant, immobilisé par sa jambe cassée. La rencontre est improbable. José est tendre, timide, doux, gentil, aimable, délicat. Contraste. Cette confrontation va forcément créer un électrochoc chez Ander. Tel un volcan, l’éruption surgira quand on ne s’y attend pas. Une simple pause pipi. Deux hommes en costume, beaux. Obligés d’être collés. Ander lâche prise. L’ambiguïté de l’un contamine l’autre. Nos regards changent. Le film avec.
Car le scénario dessine autour d’une galerie de personnages. Des hommes un peu rustres mais sensibles. Des femmes sacrificielles. Une mère inquisitrice et gardienne du Temple, une sœur entre deux mondes, une pute qui est aussi mère. Beaux portraits. Psychologie fine sur le rejet des autres et de soi. Amour et compassion se mélangent à la servilité et l’acceptation d’être dominé. Par l’autre (son patron), par ses sentiments (incontrôlables), par un mirage.
Ander devient une œuvre fantasmagorique fascinante. Et le troisième chapitre, crescendo, plus proche de Ducastel et Martineau, rajoute un personnage à Ander et José. La pute. Renné. Une prostituée éphémère, copine qui co-pine, maternant son bambin, croyant au retour d’un mari qui l’a planté là, à l’écoute de ces hommes blessés. Elle devient le pivot de l’histoire, naturellement, sans heurts. Avec José, ils sont les deux seuls êtres libres, n’ayant pas peur d’eux-mêmes. Ils s’acceptent dans leurs failles.
Le film bascule alors dans une utopie généreuse à la manière des films des frères Larrieux. Ces petites intentions qui font un grand tout. L’équilibre des choses. Quel trio : deux pédés et une pute. «- Est-ce que tu me demandes de vivre avec toi ?! – Pas avec moi. Avec nous. »
Pas de morale. Pas de discours. La lenteur se retrouve diluée dans un charme irrésistible. Le passé est mort. L’avenir est ouvert. Une opportunité, une chance, un hasard ont conduit à ce bug de l’an 2000 pas comme les autres et ont dissipé les peurs d’Ander. Ce n’est pas du courage de plonger. C’est juste savoir prendre son élan quand le vent nous souffle dans le dos.
vincy
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