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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Tête de Turc
France / 2010
31.03.2010
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LA PLUPART DES ADOS NE SONT PAS VIOLENTS
- J'excuse pas , j'essaie de comprendre.
Le premier film de Pascal Elbé est intelligent, ambitieux et détonnant. Comme lui ?
L'acteur est fin dans son jeu, même si plutôt classé "cinéma populaire français" dans la catégorie "second rôle précieux". Pascale Elbé est aussi scénariste (Mauvaise Foi, film de l'acteur et ami Roschdy Zem) et maintenant devient naturellement réalisateur... Pour ce coup d'essai, Elbé reprend les thèmes de ses scénarii mais les inscrit dans un polar social aux accents scorsesiens, aux allures d'œuvres sombres à la James Gray. Les destins qui s'entrecroisent ont même des allures de films d'Altman.
Son film réussit à allier suspense, drame, action et réflexion. En phase avec la société contemporaine, il s'interroge sur la violence sans jamais juger ou excuser.
La banlieue, la violence, le choc des communautés et l'éthique. C'est la trame de fond de Tête de turc. Le film s'inspire d'un fait divers à Marseille (en 2006, Mama Galledou, brûlée vive par des jeunes qui n'avaient pas la moindre conscience de cet acte). Sauf qu'ici le jeune Bora sauve sa victime et se retrouve dans une situation paradoxale : héros pour les uns, traître pour les autres. Il est les deux.
Briser la loi du silence, se dénoncer, soulager sa conscience et libérer le frère de son meilleur ami, accusé à sa place ? Faire plaisir à sa mère et accepter la médaille en cachant sa culpabilité et en risquant de se faire tuer par sa bande?
En plus de ce dilemme, Tête de Turc parle de mixité sociale (jeunes et adultes, communautés turques et arméniennes, flic et jeunes de banlieues), de traditions... "Depuis quand les Turcs sauvent les Arméniens" ? Le passé a ses blessures difficiles à effacer...
Elbé réussit un exercice "casse-gueule" : filmer un groupe où les personnages agissent et interagissent, entrecroisent leurs destins avec le fameux effet papillon. Le risque est qu'on s'ennuie, qu'on se désintéresse de certains personnages ou que le film dure trois heures ... Ici on est captivé par le dilemme du jeune Bora aux accents de tragédie grecque ; par la douleur d'un inconnu (Simon Abkarian) qui veut venger la mort de sa femme, que le médecin devait soigner, par l'obstination de la mère de Bora (Ronit Elkabetz) qui se bat et se débat au jour le jour pour ses enfants…
Tête de Turc est aussi une histoire de familles, de frères: Bora et son jeune frère, pour qui leur mère sacrifie sa vie privée. Les deux frères arméniens : l’un flic et l’autre médecin, dans une famille rongée par le deuil d'un autre frère (mort gardée secrète pour le médecin, culpabilisante pour le policier). Ce n'est pas anodin si on lit le mot "fraternité" sur un mur lorsque Bora accompagne son petit frère à l'école ...
Et puis, au beau milieu de ces bons sentiments, de ces tourments, il y a la vengeance. Extérieure ou intérieure : la Justice, la loi du Talion, la responsabilité de chacun. Cela rappelle quelques films de Téchiné.
La mise en scène est nerveuse, caméra à l’épaule, les mouvements saccadés... Le casting est forgé en béton armé. Film brut avec un travail sonore soigné, il est à la fois réaliste et dense, ambitieux et épuré, se refusant à se complaire dans les clichés. Ici tout a de la consistance, les décisions comme les douleurs. L'engrenage est saisissant. Et finalement assez emballant. Claire Fayau
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