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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Domaine
France / 2010
14.04.2010
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LES ABYSSES DE L'AME
Béatrice Dalle ne choisit pas ses rôles à la légère. Les films dans lesquels elle joue, qu’ils soient d’un jeune réalisateur (Christophe Honoré, C.S. Leigh, Gilles Blanchard, Gaël Morel…) ou d’un cinéaste renommé (Denis, Haneke, Assayas, Doillon, Ferrara…), correspondent toujours à une rencontre, celle d’un(e) réalisateur(trice) et d’un désir de jouer. Tout simplement. Et c’est sans doute la raison pour laquelle nous ne la voyons jamais tenter l’aventure du divertissement fut-il de qualité. Pour Dalle une « œuvre » de cinéma doit dire quelque chose, aller quelque part, laisser des traces, interpeller le spectateur, le troubler, le questionner et le travailler au corps. Même s’il s’avère hermétique, bancal, inachevé ou encore d’école.
Avec Nadia, mathématicienne de 40 ans à la recherche de sa propre vérité, nous sommes dans la lignée de ces rôles qui donne à penser. Le mérite du film de Patric Chiha se trouve précisément ici, dans l’incroyable incarnation d’une femme acceptant d’entretenir une relation particulière avec Pierre, son neveu de 17 ans. Leur relation, a priori illogique car contre nature, correspondra néanmoins à un moment T de leur existence où le besoin de l’autre sera plus fort que tout. Enfermée dans un néant communicationnel, alcoolique et sans doute éprise de l’image d’un Pierre à la jeunesse éclatante, Nadia l’utilise pour essayer de se rattacher à la vie, à l’ordinaire d’une existence qui fout le camp. Quant à Pierre, il se cherche et voit en Nadia une femme fascinante, séduisante mais difficile car de plus en plus autiste. Pourtant il accompagnera son quotidien fait de balades dans le parc et en forêt en délaissant ses copains de lycée. S’ensuit un jeu de possession, d’envie refoulée, de découverte, d’attente, de partage mutique. Et puis, imperceptiblement, les deux lignes de vie s’écarteront jusqu’à l’abandon de Pierre, moment inévitable car dans l’ordre des choses.
Domaine raconte de façon lancinante et journalière ce destin croisé deux êtres emprisonnés dans deux temporalités différentes. Le film nous touche car la mise en scène de Patric Chiha, chose rare, réussie à retranscrire l’existence de ce paradoxe relationnel. Elle parle, soliloque, essaye de comprendre à voix haute. Lui, écoute. Il écoute en silence en lui assurant une présence. Il n’y a pas de dialogue mais la mise en écho de deux perceptions, celle de Nadia dans son enfermement, celle de Pierre dans son ouverture à l’autre.
Nadia représente la figure de l’absurde, celle qui comprend mais n’arrive plus à accepter la réalité d’un monde chaotique et inutile. Elle navigue progressivement dans un non temps, un non lieu, un non devenir. Lorsqu’elle ira se faire soigner dans une clinique, elle le fera par besoin de structure et non pour la maladie elle-même. Pierre ira la voir. Mais pas pour la sauver car il ne le peut pas. Il ira donc lui rendre visite pour qu’elle s’abandonne enfin, qu’elle s’échappe et aille au-delà de sa propre déraison. A cet instant il se rend compte qu’elle ne peut plus faire semblant ; il ne lui reste plus qu’à s’évaporer dans la nuit.
geoffroy
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