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HISTOIRES DE GÊNES
«- Je t’aime, connasse! »
Certes, la radicalité de cette Gueule du loup en effarouchera plus d’un. Documentaire puisant ses racines dans un réel peu flamboyant, le film s’affirme comme une chronique perplexe sur le temps qui passe et la violence du monde.
Il y a quatre angles et cela ne forme pas une oeuvre carrée.
Il y a d’abord la ville de Gènes, en Italie. Celle d’avant, de son époque glorieuse, laborieuse et industrielle, portuaire, avec le simple bonheur de pouvoir aller à la plage le dimanche. Les images d’archives sont splendides, noir et blanc ou sépia. Et puis il y a la métropole aujourd’hui. Une ville qui détruit son passé de chantiers navals et de voies de chemin de fer, envahie par les flics, survolée par les avions, habitée par des clandestins, marginaux, clochards, érigeant ses immeubles de verre, entre mer et montagne.
Il y a aussi le portrait de ces ombres qui errent dans la cité, lieux désaffectés, endroits cachés de la vue de tous, des émigrants, des naufragés de la société. Avec leurs bars à pédé sympathiques, les pûtes encanaillées, ses bas fonds oubliés des toursites… et puis ce couple. Un ex-taulard moustachu à l’allure macho et une transsexuelle qui a pris le corps d’une mamma vieillissante. Le film est leur histoire. Histoire d’amour touchante et sensible, histoire d’un rapprochement entre deux êtres pour leur intérêt mutuel, au-delà des jugements, des règles, des convenances.
Leur récit est d’abord épistolaire : des cassettes audio qui leur permettaient de garder le contact après leur rencontre en prison et quand elle fut libérée. Puis, dans le dernier quart d’heure final, face caméra, ils témoignent de leur amour, de ses débuts jusqu’à cet instant où ils parlent. Deux « épaves » qui se sont échouées au même endroit pour que leur vie ne soit pas complètement un échec.
La mise en scène ne verse jamais dans le sordide, car c’est avant tout romantique. Le montage s’offre des incartades ludiques, mêlant un certain cinéma, les séries B et western spaghettis des années 50-60, à cette illustration concrète mais poétique.
Car cela commence un livre. De la littérature qui convoque les grands mythes antiques pour expliquer le présent. Les rêves sont dénaturés, la mémoire s’estompe. Le film, dans son collage du passé et de l’absence de futur, des images créées ou retrouvées, de cette carte postale citadine et de ce reportage citoyen, lutte, et même résiste, pour que rien ne soit oublié. Mais surtout pour que ces hommes et ces femmes puissent exister aux yeux de tous. En pleine lumière. Sans doute imaginant un bonheur inatteignable ou nostalgique.
vincy
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