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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Happy Few
France / 2010
15.09.2010
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ADULTÈRE MODE D’EMPLOI
« - Rachel n’est pas très attirée par l’Asie
- C’est pas vrai. J’aime bien les kamikazes et les sudokus. »
Antony Cordier joue sur le fil du rasoir. Sujet galvaudé, ouvrant souvent des portes ouvertes, l’échangisme, récemment dépeint par les Frères Larrieux (Peindre ou faire l’amour), apparaît souvent comme un exercice soit peu réaliste soit trop moraliste.
Mais le cinéaste s’en sort admirablement bien. Avec la fougue d’un cinéma qui emprunte beaucoup à Godard, époque Anna Karina, et la minutie psychologique des films de Téchiné, ses petites touches impressionnistes s’assemblent en un film qui sonne constamment juste, oscille entre le lumineux et le clair-obscur et laisse un sentiment de grande liberté…
Le plaisir et autres petits tracas
Le parti-pris de prendre deux couples pour qui tout va bien – amour, sexe, travail, famille… - pose un premier élément : ce n’est pas la frustration, ou un manque, ou une crise, qui crée l’adultère, mais tout simplement le jeu des attirances. Les couples « légitimes » continuent même à avoir du plaisir avec leur partenaire « marital ». Cela rend l’œuvre plus « positive », moins binaire. La narration s’avère par ailleurs plus complexe qu’à prime abord. En donnant la parole, sous forme de voix off en incartade, à chaque membre du quatuor, et pas forcément dans un ordre cohérent, Cordier multiplie les points de vue et offre à chacun la possibilité de donner son opinion. Cela anéantit toute forme de moralisme ou toute vision manichéenne, justifiant surtout un choix assumé et collectif. Car il n’y a aucun mensonge, juste une passion partagée. Pas de vaudeville ou de mélo inutile. Juste des faits. Cela construit une forme d’utopie, sans dogmes ni méthode, ou Adam et Eve se seraient multipliés par deux. « Nous avec vous, c’est nous en mieux ». Joliment dit.
Evidemment, petit bémol, si le lesbiannisme est exploré, l’homosexualité masculine n’est même pas envisagée. Tabou qui décrit le mur infranchissable de la totale liberté sexuelle. Tout comme Zem qui est le seul à ne pas se baigner nu dans l’étang, et gâche un peu la pureté du moment.
A quatre, c'est fantastique
Malgré ces concessions, Cordier maîtrise son histoire où il n’y a aucun règle du jeu. Mais beaucoup de Je en règle. Il filme les petits détails, les habitudes révélatrices, la psychologie des êtres. Son scénario elliptique, où une révélation modifie l’ordre du péché originel, et change du coup la couleur des cinq variations sur le même « t’aime », pointe du doigt la fauteuse de trouble, qui va devoir être pardonnée, ou faire acte de rédemption. La fois de trop, c’est la première fois.
Le quatuor de comédien, porté par leur jeu naturaliste, contribue beaucoup à l’intensité de l’histoire, pourtant dénuée de drames majeurs. Quatre acteurs qui, en état de grâce, s’avèrent à la fois complémentaires à l’image, irradiant de charme et au sommet de leur talent. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Roschdy Zem aussi nuancé et subtil ; Elodie Bouchez aussi précise et sincère, dans un personnage aussi beau ; Nicolas Duvauchelle aussi harmonieux entre sa part animal et son aspect sentimental. Et que dire de Marina Foïs, sans peur (ni pudeur), et déjouant avec virtuosité les pièges d’un tel rôle, a priori banal, mais nécessitant une véritable force intérieure tant elle est le pilier fondateur de l’histoire et de cette relation « mélangée », entre désirs et contradictions.
Crocodile folie
La mise en scène n’est pas anodine. Si la caméra joue au chat et à la souris au début du film, filmant en champ/contre-champ le visage de l’un et la nuque de l’autre, c’est pour mieux se déployer dans l’espace au fur et à mesure de la consolidation de ces relations à deux, trois, quatre. Les corps apparaissent alors au complet, nus, sans voyeurisme, mais désinhibant toute intimité. Le secret et les mystères font place à la transparence et une forme de vérité. Ça se frôle et ça se touche au départ, les gestes sont timides et puis plus assurés ; ils se « prennent » sauvagement ensuite. Sans inquiétude ni culpabilité. Duvauchelle et Foïs sont alors au cœur d’une des scènes les plus « chaudes » du cinéma français récent, jusqu’aux râles et aux bruits des corps qui se percutent. Un parfum d’authenticité qui trouble…Le film imaginera une autre séquence, plus allégorique, où les quatre réaliseront le fantasme d’un des leurs, au milieu de la farine et des crocodiles Haribo.
« T’as trop bu t’as trop fumé, t’as mangé beaucoup trop de crocodiles, j’ai pas envie que tu deviennes romantique ». Happy Few est un film lucide, mais pas translucide. Il laisse des zones d’ombres. On entrevoit des enfants affligés du comportement de leurs parents. Mais on note aussi la responsabilisation des parents, qui ne lâchent aucunement l’affaire. Cela conduit forcément à l’atrocité finale : la salissure, pour être sûr de son choix, définitif, la clairvoyance, pour se croire maître de son destin, la drôlerie, pour évacuer le stress et le drame. Cet équilibre n’était pas facile et Cordier s’en tire merveilleusement bien.
La musique est aérienne, guillerette, légère, se teinte de mélancolie. Elle palpite avec quelques sons électros, et devient même de plus en plus rock, rendant l’œuvre plus moderne qu’elle ne le laisse deviner.
Happy Few répond à demi mots, et sans trop de maux, à sa question existentielle : « Peut-on aimer deux personnes à la fois ? Et surtout peut-on laisser faire ça ? » Là aussi, Cordier réussit une pirouette en nous laissant l’esprit complètement ouvert. Sans jugement. Il n’y aurait rien eut de pire qu’une leçon de morale pour détruire ce bel édifice émotionnel, où l’ivresse de l’amour rendait invincible ses protagonistes.
vincy
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