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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Au fond des bois
France / 2010
13.10.2010
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L’EMPRISE DES SENS
«- Elle a voulu tout.»
Il y a quelque chose d’aussi passionnant qu’agaçant dans le nouveau film de Benoît Jacquot, Au fond des bois. Fascinant parce que sa Joséphine est aussi spectrale que son Timothée est sauvage, que ces deux mystérieuses âmes semblent invisiblement unies. Avec peu d’effet. Jacquot manie l’indicible avec une subtilité qui souvent fait merveille dans son cinéma. Irritant aussi car l’impression lorsqu’on en sort est celle d’un film déjà vu, d’un exercice de style plus que d’une histoire obsédante.
Sans être caricatural, il est déjà assez binaire comme ça, Au fond des bois éprouve quelques difficultés à remplir sa durée. Les situations se répètent, l’errance flotte sans parvenir à nous émouvoir ou nous surprendre. Il faut toute l’alchimie des comédies – un homme des bois, sauvage et doué de talents hypnotiques et une jeune bourgeoise érudite et encore indéfinie – pour surmonter des scènes sans intérêt réel. Filmer la nature, aussi belle soit-elle, ne suffit pas à remplir l’écran.
Pourtant ça ne manque pas de souffle romanesque. Les personnages qui s’enivrent du vent, des arbres et des vertiges du relief de leur région montagneuse nous amènent dans un labyrinthe « carrollien » où le pays des merveilles est une France rurale et illettrée. Jacquot filme brillamment le contexte historique de l’époque.
Tout comme il parvient à nous faire croire à cette rencontre entre la croyante rêvasseuse qui aspire à l’aventure et le fils du ciel un peu bestial et complètement illuminé. A part le sexe, rien ne les réunit vraiment.
Le cinéaste découpe son film en trois parties : un prologue qui tourne autour de leur rencontre, jusqu’au « kidnapping » (qui n’en est pas vraiment un), une fuite dans les bois (avec peu de dialogues, beaucoup de musique, un certain rythme jusqu’à un essoufflement palpable) et un jugement (où les mots fusent davantage et le temps défile plus vite).
Après avoir été possédée, elle va devenir manipulatrice. Quoique. Il semble qu’un pacte se noue dès lors qu’elle le sauve : sa liberté à elle contre son emprisonnement à lui. Certainement morale, la fin est cependant très ambiguë. L’empreinte de Timothée s’avère bien plus profonde et plus durable qu’une simple escapade adolescente. Les rôles se sont inversés. La victime est devenue la manipulatrice, le dominant s’est mué en soumis. Elle ment et lui accepte. Cette ultime partie est sans doute la plus belle, car elle révèle un amour immense dans le cœur de Timothée là où tout en faisait un monstre.
Syndrome de Stockholm classique, enfant sauvage, hypnose : le film est alimenté par des mythes et des sortilèges issus des faits divers les plus étranges dans un siècle progressiste mais inégalitaire. Jacquot n’omet pas ses propres obsessions : la chair meurtrie, blessée, brûlée, découpée, désireuse, mutilée, en chaleur.
Pas étonnant que cette chair souffrante, aimante, tende les personnages vers la folie. Chacun est atteint, pour une raison ou pour une autre d’une fièvre maladive. Mais l’emprise a ses limites : et elle ne traverse pas l’écran, en tout cas, pas suffisamment pour nous hypnotiser à notre tour.
vincy
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