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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Mystères de Lisbonne
/ 2010
20.10.2010
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LES DESTINEES SENTIMENTALES
"Vous vous demandez sûrement pourquoi je vous raconte toutes ces choses mais à la fin vous le comprendrez."
D'abord, il y a un regret. Celui de voir l'indéniable talent de metteur en scène de Raoul Ruiz impeccablement mis au service d'une histoire captivante, drôle et follement humaine, mais dont le résultat final donne un film d'une durée presque rédhibitoire de 4 h 30 qui va en limiter et la diffusion et l'attrait auprès du public. Même Soderbergh avait accepté de couper en deux son Che dont les deux volets réunis étaient moins longs que Mystères de Lisbonne. Ici, on aurait bien vu un découpage feuilletonnant, en deux ou trois parties, qui aurait autant été un hommage au roman original qu'un clin d'oeil au spectateur.
Mais bien sûr, on ne juge pas un film à sa durée, et si cela handicape très certainement cette adaptation du roman de Camilo Castelo Branco, cela ne lui ôte ni son panache, ni son intérêt. Au contraire. On se délecte de cette fresque colorée aux rebondissements et aux circonvolutions incessantes. Chaque fois que l'on croit une partie de l'intrigue résolue, elle repart de plus belle. On assiste ainsi à un foisonnement de personnages et de situations, de récits et d'aventures qui rappelle à la fois les grands romans de cape et d'épées d'Alexandre Dumas et certains grands feuilletons télévisés diffusés pendant l’été.
Cela donne l’occasion à des portraits cocasses et savoureux de personnages éminemment romanesques, mais aussi d’une époque et d’une classe sociale qui se caractérisent par des codes et des rites communs. Cette noblesse portugaise, empesée dans ses principes, se préoccupe fort d’apparence, se pavane dans des bals et au théâtre, répand ragots et commérages et se réjouit parfois du malheur de ses semblables. Mais derrière le masque, chacun vit ses propres tourments. Histoires d’amour impossibles ou contrariées (pour des questions d’argent ou de bienséance), principalement, d’où découlent de non moins rocambolesques histoires de filiation. Ainsi les personnages retrouvent-ils soudainement des parents qu’ils n’ont jamais connus ou apprennent subitement, d’un étranger, le récit de leurs origines.
Le principal fil rouge, le père Diniz, semble d’ailleurs abonné à ces récits qu’il reçoit et dispense avec le même calme imperturbable. A ses côtés, on passerait bien deux heures de plus à découvrir les petits secrets de ces individus sans cesse jouets du destin et de l’ironie du sort. Car on sourit beaucoup devant ces Mystères de Lisbonne où se succèdent avec une régularité exemplaire rebondissements fabuleux et révélations romanesques en un savant emboîtement de flash-back. Le ton est lui aussi léger, parfois plein de dérision envers ces malheureux humains aux prises avec des questions qui les dépassent. On est bien dans une sorte de comédie humaine aux accents tragiques, où l’individu n’a pas plus de prise sur son existence qu’un fétu de paille emporté par le vent.
Et si l’on se lasse du procédé employé (cette multiplicité de points de vue qui conduit chacun à raconter son histoire à son tour), c’est parce que la dernière partie du film semble la moins plaisante. On ne parvient pas à se passionner pour les désirs de vengeance de cette duchesse française interprétée par Clotidle Hesme, de même qu’on se désintéresse rapidement de son amant, homme brusque qui maltraite ses domestiques. Peut-être est-ce la durée, ou juste le ton qui se fait plus cruel. La mise en scène, elle, reste impeccable du début à la fin. La caméra suit les personnages, les surplombe, les accompagne et les précède, ôtant à l’ensemble l’impression de statisme qui pourrait se dégager de cette succession de récits feutrés en intérieur. Elle ajoute même un supplément d’élégance et de distance qui rehaussent le ton du film, lui offrant un aspect patiné. Déjà classique, et donc forcément universel.
MpM
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