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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Monsters
/ 2010
01.12.2010
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E.T. PARK
«- On traverse la zone infectée ?
- C’est la seule option. »
Mais que vaut réellement Monsters – petit film fantastique réalisé pour trois francs six sous par un spécialiste des effets spéciaux – au-delà de son excellente réputation de festivals ? Qu’il n’est pas, fort heureusement, un avatar grotesque du District 9 de Blomkamp. Réussite du genre incontestable, le long-métrage de Gareth Edwards possède le charme naïf des premiers films, la maîtrise formelle en plus. Car nous y croyons à cette histoire de monstres géants déambulant en pleine jungle mexicaine, tant la reconstitution est juste, habile, dense, sincère. Le travail sur les décors participe à la véracité d’un récit linéaire mais indécis, bluffant de réalisme et correspondant parfaitement au ton docu initié dès les premiers plans.
Le contre-pied était tentant. Edwards l’a fait. Le traitement naturaliste de l’histoire, guidé par l’urgence d’une traversée dangereuse, modifie l’angle d’attaque habituel des films de monstres puisque celui-ci n’est pas là pour nous faire peur mais pour nous immerger dans une réalité factuelle assimilable : celle d’une menace extra-terrestre confinée dans une zone quadrillée par l’armée et interdite aux civils. Le film prend, dans cette errance en territoire hostile, une tournure particulière. En effet, il ne cherche pas à nous vendre une énième parabole en forme de brûlot politique, mais façonne une histoire simple revêtant la forme d’un long poème contemplatif sur l’état d’un monde en quête de sens. L’harmonie naturelle d’une jungle pourtant peuplée de monstres serait-elle, en définitive, plus fiable que celle de nos sociétés consuméristes, individualistes et broyeuses de liberté ?
Pour retranscrire cet état des choses, le cinéaste s’appuie sur une romance naissante entre un photographe et une femme (fille de son boss) qu’il doit escorter en lieu sûr. Le contexte géopolitique s’efface donc au profit d’un parcours humain, philosophique et amoureux dont le point de départ est motivé par la rencontre de deux solitudes un peu paumées. Dès cet instant le film ne sera qu’un long cheminement. Personnel ou collectif, il traduit une demande d’absolu. Comme si le temps était suspendu, attentif aux choses de la vie, contre l’ordre d’un monde crépusculaire et peuplé désormais de créatures extra-terrestres. Pour réussir son pari, le réalisateur mixe une mise en scène faite d’errance contemplative et de rendu réaliste proche du documentaire. Ce faisant, il crée un espace de pur cinéma où la fascination des décors dévastés répond à celle, tout aussi saisissante, de ces deux individualités cheminant côte à côte vers un salut de plus en plus illusoire.
On pourrait reprocher à Monsters de ne presque jamais montrer ses monstres. Sans doute. Mais tel n’était pas le propos de Gareth Edwards, parcimonieux en diable, se méfiant des représentations un peu trop tape à l’œil. Le dénouement rattrape haut la main cette petite frustration via une séquence féérique, irréelle, romanesque et tragique à la fois. Du grand art. Comme cette musique lancinante venant effleurer les regards parfois vides de nos deux personnages magnifiquement campés par Scoot McNairy et Whitney Able. La caméra flotte, aérienne, sur leurs corps meurtris. Elle capte l’instant d’une rencontre, la puissance d’un paysage vierge, la démesure d’un mur séparant deux pays et le ballet nocturne de créatures gigantesques. Il y a du Michael Mann chez Edwards dans sa façon de capter l’espace, de retranscrire une réalité ou de laisser l’environnement prendre le contrôle des émotions. Les pleurs de Sam sont, de ce point de vue, tragiques car résignés. Comme notre monde ?
geoffroy
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