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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Slovenian girl (Slovenka)
/ 2009
02.02.2011
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LA FILLE COUPÉE EN DEUX
"Je veux une vie normale"
Les bonnes surprises cinématographiques n’en finissent plus d’arriver d’Europe de l’Est, en voici une nouvelle preuve avec ce film slovène dense et intense qui aurait pu être choc, voire choquant, et qui grâce à une extrême rigueur stylistique et scénaristique reste sobre, intelligent et édifiant du début à la fin. Le portrait que Damjan Kozole dresse de son héroïne est en effet tout sauf complaisant, tant il dissèque froidement (sans le juger) le comportement tout aussi glacial de la jeune fille, ainsi que le contexte socio-économique qui l’a amenée à choisir cette voie.
Car la grande particularité de Sacha, c’est qu’elle a choisi de se prostituer non pas par nécessité (son père l’aide financièrement, même si cela reste modeste) mais par désir d’accéder au plus vite à une vie matérielle confortable et facile. Le réalisateur montre ainsi par tout un faisceau de signes secondaires, parfois insignifiants, qu’elle est le pur produit des bouleversements qui ont frappé la Slovénie durant les dix ou quinze dernières années. Il situe notamment son film pendant la période où le pays est à la tête de l’Union Européenne, présidence qui se manifeste concrètement pour les citoyens par le passage régulier de convois prioritaires, toutes sirènes hurlantes, et automatiquement par d’incessants problèmes de circulation. « Nous avons eu l'illusion que le monde venait en Slovénie, et ensuite, il n'y a plus rien eu. C'était seulement un mouvement éphémère. », explique Damjan Kozole. Son héroïne, comme tant d’autres, profite de l’occasion unique qui lui est offerte de prendre sa part du gâteau, quel que soit le moyen employé.
On est frappé par l’intelligence et la maîtrise du scénario qui parvient à créer une ambiance anxiogène et délétère sans jamais déraper dans le sordide. Quoi qu’il arrive à Sacha (enlèvement, racket, chantage), le récit reste toujours sur le fil, préférant avoir recours à l’imagination du spectateur plutôt qu’à des images crues. On devine ainsi tous les dangers qui guettent la jeune fille, mais comme au fond, ce n’est pas le vrai sujet du film, ils ne font que planer au-dessus d’elle et renforcer la tension presque palpable de l’intrigue.
Damjan Kozole prouve ainsi qu’il est un excellent scénariste doublé d’un réalisateur talentueux (il n’y a pas une once de superflu dans ce film nerveux et impeccablement maîtrisé), mais aussi un directeur d’acteur avisé. Son interprète, l’inoubliable Nina Ivanisin, est en effet d’une justesse rare malgré les pièges que recèle le rôle. Il est commun de dire qu’un acteur "porte" le film dans lequel il joue, mais dans son cas, on est presque en-dessous de la réalité, tant elle incarne à la perfection cet insondable monolithe que l'on croirait incapable d'émotions. Bien qu’elle retienne en permanence son jeu, pour paraître la plus insensible possible, elle parvient à être à la fois glaciale et sensuelle, déterminée et égarée, détestable et bouleversante. A la regarder, on a le sentiment que personne d’autre n’aurait pu être si complètement cette héroïne complexe et ambigüe à laquelle elle donne du coeur et du corps.
Rencontre presque fusionnelle entre un tempérament de comédienne et une vision de cinéaste, Slovenian girl s'avère être de ces petits miracles cinématographiques qui parviennent à se rendre aimables sans fard ni artifice. Comme un ovni dans notre paysage d'attraits et d'intérêts ultra formatés.
MpM
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