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AU FOND DES BOIS
«- Un joint pour la route ?»
Ce film glacial et morbide de Debra Granik a une force sous-jacente. Drame social aux allures de thriller, il s’enfonce au fil des scènes dans un genre qui flirte avec le film d’horreur. Il en a tous les codes, mais n’utilise jamais l’aspect gore qui l’aurait fait dévier de sa trajectoire cauchemardesque.
Rien de plus glauque sur le papier : un père disparu, une mère en dehors des réalités, une adolescente qui prend en charge ses deux petits cadets, une précarité financière qui les installe dans la survie, un environnement de forêts, de neige, de rivières froide, et une ville presque consanguine où l’hostilité des uns se confrontent à l’ultra-conservatisme des autres, pour ne pas dire une forme de xénophobie.
Dans cette Amérique profonde, on apprend à tenir un bébé et un fusil. Univers rétrograde, isolé, misérable, où l’une des rares issues de secours est l’armée, où l’une des façons de supporter son quotidien est la drogue.
L’héroïne, Ree (incarnée par une révélation très talentueuse, Jennifer Lawrence, qui a des airs de Renee Zellweger), est trop jeune pour affronter ce monde violent et bestial, mais ne manque pas de courage : à défaut de pouvoir rêver, elle croit aux solutions de problèmes insolubles. Un père introuvable, une expropriation causée par une hypothèque lourde, un gros manque d’argent, une mère démissionnaire, aucun avenir prometteur…
Tout est brutal. Sauf elle. Plus elle prend des coups, plus son personnage devient un ange miséricordieux mais pas candide, capable d’aller chercher son père en enfer pour sauver sa famille. Elle ne réplique pas, tend même l’autre joue quand on la frappe, ne se drogue pas, rejette les règles de ces hommes et femmes rétrogrades, se complaisant dans leur propre justice, effrayante et inhumaine. «- Qu’est-ce qu’on va faire de toi, Babygirl ? – Me tuer. – On y a déjà pensé, d’autres idées ? –M’aider.»
Mauvais sang ne saurait mentir. Car, tous reliés par des pactes ancestraux ou par des gènes défectueux, ils composent une galerie de portraits peu avenants. Tous ont le cran de se croire au-dessus des lois terrestres. C’est sans doute à cause d’eux que le film peut paraître répulsif. En rien, il n’est séduisant. S’il marque, ce n’est pas par envie de le revoir avec plaisir, mais par le mal être qu’il distille efficacement. Ree est finalement le seul rayon de lumière, celui par lequel on souffre, mais qui nous permet de ne pas repousser émotionnellement ce calvaire perpétuel et sans fin.
L’image accentue le malaise : terne, grise, marronatre, triste. Les personnages tribaux sont lâches, menteurs, paumés, tarés, durs, cruels, rustres. Le scénario est un jeu de piste où ils se succèdent tous, et s’avèrent de plus en plus antipathiques, refermant ainsi, avec sobriété, le piège fatal sur cette innocente battante. Le spectateur souhaitant qu’elle sen sorte absolument, est prêt à endurer toutes les horreurs qu’elle va subir. La caméra n’est jamais obscène, mais n’est pas plus hypocrite. L’atmosphère en devient de plus en plus angoissante, l’expérience de plus en plus éprouvante.
Debra Granik préfère le suggestif à l’explicite. C’est ce qui fait de Winter’s Bone une œuvre subtile et intéressante. Chacun de ses monstres dégénérés va devoir se remettre en cause face à l’obstination de cette « pure et dure » qui trouve trois alliés dans sa quête, et notamment le recruteur de l’armée, qui sera le seul à vraiment l’écouter.
Ce tableau d’une Amérique rurale, médiévale même, au fond du gouffre, laisse un goût pâteux qui ne s’évacue pas rapidement. La cinéaste aurait pu en faire un polar classique. Son style le singularise et dresse une photographie d’une civilisation en voie de décomposition.
vincy
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