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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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True Grit
USA / 2010
23.02.2011
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A CRAN
"Les gens ne croient pas qu'une fille de quatorze ans puisse quitter sa maison pour aller venger la mort de son
père en plein hiver."
Les frères Coen avaient envie de réaliser un western, et considéraient que No country for old men n'en était pas
rigoureusement un. D'où l'idée d'adapter le roman de Charles Portis, culte aux Etats-Unis, qui raconte non sans
humour le combat effréné d'une adolescente à la répartie acide pour punir l'homme qui a tué son père. D'emblée, on
voit bien ce qui a pu séduire les frères Coen dans cette histoire rocambolesque de vengeance mais aussi de
découverte et d'initiation. Les deux personnages masculins ont ce petit quelque chose que l'on retrouve à des degrés
divers dans la plupart de leurs films : ce sont des êtres solitaires et presque marginaux, mi losers magnifiques, mi
farfelus irrécupérables. Ils sont entourés d'une brochette de seconds rôles truculents, souvent inventés par les
réalisateurs, comme le croque-mort et sa drôle de manière de parler ou le dentiste ambulant, amateur de cadavres
frais. Ils sont d'autant plus décalés qu'on les découvre tels que les voit Mattie. Or, cette dernière porte un
regard souvent caustique sur cet univers foncièrement masculin dont au fond elle méconnaît toutes les règles.
Pour les réalisateurs, c'est comme une manière de se réapproprier le genre du western en en déconstruisant une
partie des codes et notamment le manichéisme un peu simpliste. On sent que les "gentils" pourraient facilement
basculer de l'autre côté comme les allusions au passé trouble de Rooster le laissent penser. A l'inverse, les
"méchants" ne sont pas si terribles. Ned Pepper se montre même plutôt humain. Ce sont plus les circonstances que
leur nature qui ont poussé chacun des personnages à embrasser la carrière qui est la sienne.
Ce qui persiste malgré tout du western traditionnel, en plus de l'époque et du "décor", c'est la notion de
"virilité" qui s'immisce dans la moindre relation sociale. Le film insiste ainsi sur la rivalité entre les deux
policiers aux méthodes rigoureusement opposées. A travers ces deux personnages se rejoue la guerre de Sécession
(chacun estimant que l'autre a combattu dans un bataillon "honteux") et c'est comme si deux pans d'une Amérique à
peine réconciliée rejouaient le match à plus petite échelle. Si ce n'est, bien sûr, que leur opposition tourne à la
chamaillerie puérile et presque grotesque. La 'Coen touch', encore et toujours... même si Charles Portis lui-même
n'était guère tendre envers ses deux héros, utilisant Mattie comme arbitre.
Il fallait bien tous ces éléments pour donner un peu de chair et de profondeur à une intrigue sans cela relativement
pauvre en action et rebondissements (les frères Coen en ont d'ailleurs supprimé certains, comme pour épurer la
partie la plus ouvertement narrative). Et cela fonctionne, en partie grâce à un récit nerveux qui met en valeur
dialogues enlevés et situations piquantes sans s'appesantir en explications inutiles. Certaines séquences surgissent
au milieu de l'histoire comme autant de saynètes aux accents tantôt satiriques, tantôt édifiants. A travers ces
chevauchées, ces camps de nuit et ces (rares) fusillades, c'est une partie de l'histoire du western qui défile sous
nos yeux. On sent bien que l'intrigue ne compte pas tant que l'atmosphère et les interactions entre les êtres. Tout
est d'ailleurs fait pour mettre en valeur la personnalité des personnages, incarnés par des acteurs en pleine forme.
Jeff Bridges est une nouvelle fois irrésistible en baroudeur usé que rien ne peut pourtant atteindre. Même les plus
petits rôles sont écrits avec ce sens du détail qui caractérise Joël et Ethan Coen.
Ample et riche en plans larges, la mise en scène évite l'imagerie spécial western. Les grands espaces sont là, mais
l'on n'est pas dans une carte postale. Cela évite un lyrisme artificiel qui dénoterait avec la relative légèreté du
ton. Car même si le film n'a rien d'optimiste (notamment dans son épilogue, particulièrement cynique, et dans sa vision assez sombre de l'existence), il se
refuse aussi à toute dramatisation. Il n'est pas tant question d'honneur et de hauts faits glorieux que de la vie
avec ce qu'elle a de plus hasardeux et ironique. Un jour on gagne, le suivant on perd, et parfois c'est les deux à
la fois. Peut-être faut-il même connaître le goût de la défaite pour apprécier ensuite celui de la victoire,
accepter de prendre des risques pour défendre ses convictions.
Pas très étonnant qu'avec tous ces ingrédients, True grit s'impose comme un divertissement populaire doublé
d'une oeuvre cinématographique aboutie. Les Coen prouvent une nouvelle fois qu'ils excellent dans tous les genres et que définitivement, ils ont du cran. MpM
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