|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
127 heures (127 Hours)
USA / 2010
23.02.2011
|
|
|
|
|
|
SEUL AU MONDE
L’histoire de 127 heures est de celles qui permettent une exception à la règle qui veut qu'il vaut mieux ne pas connaître la fin du film avant de le voir. Tout comme avec certains récits historiques connus, le plus intéressant est de découvrir une version des évènements.
Ici les 127 heures représentent donc le temps qu'Aron Ralston, un américain de 26 ans, est resté coincé par un rocher dans un canyon isolé. Ces cinq jours perdus en solitaire en ont fait une personnalité connue dont l’histoire est devenue un livre ("Plus fort qu’un roc") ici adapté au cinéma. Et le fait de savoir que ce film est inspiré d’une histoire vraie (même pour qui n’en connaît pas grand-chose) implique beaucoup plus émotionnellement le spectateur. Dans le genre aventure humaine 'bigger than life', ce nouveau film de Danny Boyle est exceptionnel.
Pour nous faire partager le goût de l’évasion de son héros le réalisateur a l’habileté de nous le présenter en une poignée de scènes très rapides : des images de foule sur fond de musique world précèdent quelques plans à l’intérieur de l’appartement du jeune urbain Aron Ralston (représenté par l’acteur James Franco), il prend quelques affaires et s’en va. Et pour lui comme pour le spectateur, c’est parti pour l’aventure : direction le désert et les canyons.
On est immédiatement saisi par le contraste entre le jaune de la terre et le bleu du ciel, les couleurs vives et appuyées font voir un véritable endroit paradisiaque qui n’a absolument rien de dangereux. On découvre un paysage hédoniste rare qui bien entendu donne la même envie qu'à Aron Ralston : prendre son sac à dos et partir seul pour une bonne ballade. Danny Boyle a déjà gagné son pari qui est de nous faire partager les sensations de son personnage, et ensuite de nous faire ressentir toutes ses émotions de la plus intime à la plus douloureuse.
Le film est rythmé par différentes variations du temps qui passe sous différentes formes, dont la première est l’impression sur l’image du jour : samedi, ensuite dimanche, lundi puis mardi, et mercredi… Quand l’accident arrive et que Aron Ralston se retrouve coincé par un rocher on sait donc déjà que son calvaire va durer 127 heures, soit plus de cinq jours. Il est dans un endroit où personne ne passe et sans aucun moyen de communication. Le spectateur est même presque dans un état de tension au-delà de celui du personnage qui lui ignore encore qu’il va devoir faire l’expérience de la survie bloqué tout seul.
Quand d’autres réalisateurs auraient simplement réduit ces 127 heures de solitude à 90 minutes de film, Danny Boyle parvient à leur donner toute leur ampleur dramatique en leur consacrant la partie centrale de son film avec un temps élastique. On y voit presque trois segments dont l’impact du dernier est d’autant plus fort qu’il repose sur celui d’avant. D’abord la ballade merveilleuse où il profite de la vie, puis l’accident qui le fait se rapprocher de la mort, et enfin ce qui arrivé après l’accident. Le tour de force de Danny Boyle n’est pas de seulement de raconter ces 127 heures de survie mais carrément d’évoquer presque toute la vie de Aron Ralston. Le temps est une notion élastique car quand le personnage est coincé seul sous un rocher, ses différents états de désespoir et de sommeil lui font revenir certains de ses souvenirs des plus récents aux plus précieux. Le film utilise les dynamiques du montage (flashbacks, répétitions, gros plans, et surtout des split-screens avec trois actions différentes dans l’image) pour donner l’impression d’une vie qui défile avec des accélérés et des pauses, la narration du présent se fait par à-coups entre souvenirs et peurs.
L’histoire du vrai Aron Ralston pourrait se résumer en un simple fait divers héroïque. Mais Danny Boyle y a trouvé matière à un pur film de mise en scène où l’histoire à raconter est moins importante que la manière de le faire. Après son film Slumdog Millionaire, véritable succès public et critique récompensé de tous les prix (dont 7 Baftas, 4 Golden Globes, 8 Oscars…), c’est comme s'il avait cherché un petit projet expérimental avant de s’atteler à un autre gros film ambitieux, sans savoir que ce 127 heures allait être un film encore meilleur.
Transformer ce vrai fait divers en une telle expérience cinématographique audacieuse fait déjà de 127 heures un des films majeurs de l’année. Il compte 6 nominations aux prochains Oscars, dont meilleur film et meilleur acteur. James Franco porte d’ailleurs presque tout seul le film, sa performance (de retenue guidée et d’improvisation contenue) nous fait vivre la perte de repère de son personnage qui dialogue avec lui-même. Plus qu'un film, c’est une expérience de survie hyperréaliste racontée par Danny Boyle dans un film autrement surréaliste.
Kristofy
|
|
|